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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Drame historique, #Jonathan Demme, #Tom Hanks, #Denzel Washington
Philadelphia (Jonathan Demme, 1993)

Ca commence avec le Boss (Bruce Springsteen) et ses « Rues de Philadelphie » (Streets of Philadelphia), et nous voyons différents habitants de cette mégalopole nous saluer. Normal, Philadelphie est la vielle de William Penn par excellence : celle où la tolérance est le ciment de la communauté.

Alors quand Andy Beckett (Tom Hanks), jeune avocat brillant et dynamique, est licencié parce qu’il a contracté le SIDA, c’est ce principe cher aux Pères Fondateurs qui est remis en cause. Mais Beckett ne s’en laisse pas compter : il engage l’avocat populaire (il passe à la télévision !) Joe Miller (Denzel Washington) pour le représenter.

Le premier problème qu’il rencontre : Miller est ce qu’on appelle aujourd’hui un homophobe, considérant les homosexuels comme des sous-hommes.

Le deuxième problème : le temps presse, la maladie se développe de plus en plus vite et les défenses immunitaires de Beckett tombent les unes après les autres, l’affaiblissant toujours plus.

 

Magistral.

Encore une fois, Jonathan Demme nous démontre qu’il était un grand réalisateur, signant ici un film presque parfait (1), servi par une distribution non seulement prestigieuse mais aussi à la hauteur de l’enjeu : l’acceptation de l’homosexualité. Parce que derrière cette intrigue judiciaire se joue la place des homosexuels dans la société américaine – et ailleurs, son influence a un peu fait bouger les lignes un peu partout dans le monde – même si ce n’est pas encore gagné (2).

Et le plus remarquable dans ce film, c’est la façon dont Demme montre les différents stéréotypes – faux – qu’on trouve sur le SIDA : l’attraper par une poignée de mains en est la meilleure illustration, puisque c’est aussi la première.

En effet, la première poignée de mains qu’échange Beckett avec quelqu’un est mise en évidence par un resserrement du cadrage sur cette effusion qui n’était alors pas toujours considérée comme saine par les ignorants (3). Et cette insistance est prémonitoire : jusque là, un spectateur qui n’a pas eu vent de l’intrigue peut alors se poser des questions, jusqu’à la révélation de Beckett à Miller. Autre élément prémonitoire : l’observation de Kenton (Robert Ridgely) à propos de la marque que porte Beckett sur le front qui se révèlera une lésion due à la maladie.

 

Mais c’est surtout la présentation de cette maladie qui est le meilleur atout du film : avoir le SIDA dans les années1980s, c’est comme être noir avant le Mouvement des Droits Civiques. Les personnes atteintes – homosexuelles, surtout – sont marginalisées voire ostracisées. Ce n’est pas par hasard si Sarah Beckett (Joanne Woodward) déclare qu’elle n’a pas élevé ses enfants pour qu’ils se retrouvent à l’arrière des bus (4) : la place qui était réservée aux « gens de couleur » (colored) autrefois aux Etats-Unis.

Parce que si Beckett qui est licencié officiellement pour faute grave, c’est bel et bien à cause de sa maladie que ses patrons se débarrassent de lui.

 

Et pendant le procès qui suit, la défense abjecte des associés patrons est tout bonnement écoeurante, avec une mention spéciale pour les deux avocats, Belinda Conine (Mary « Miss Clayton » Steenburgen) et Jerome Green (Obba Babatundé, qu’on pouvait apercevoir dans le film précédent de Demme) : ils utilisent les arguments courants homophobes afin de criminaliser la conduite de Beckett qu’ils jugent irresponsable, comparée à celle d’une autre personne atteinte de la même maladie suite à une transfusion ; cette dernière est une véritable victime à leurs yeux, tandis que Beckett a, d’une certaine façon, reçu ce qu’il méritait. Pourtant, l’issue pour ces deux personnes sera la même : une mort annoncée.

 

Mais si ce film a eu un tel impact sur les spectateurs, c’est aussi pour les différentes performances d’acteurs, outre celle de Mary Steenburgen, on notera :

  • Jason Robards (Charles Wheeler,le grand patron) est un formidable salaud, n’exprimant aucun regret ni remord vis-à-vis de Beckett, malgré les perches que semble nous tendre Demme à chacune de ses interventions :on croit qu’il va revenir sur son opinion (son visage semble l’indiquer) mais rien ne changera. D’ailleurs, l’issue du procès (défavorable à son encontre, heureusement) lui semble aberrante et il ne veut pas en rester là.
  • Antonio Banderas (Miguel Alvarez, le « partenaire » de Beckett) un peu à contre-emploi (il sait tout jouer, cet homme-là) est magnifique de subtilité dans ce rôle difficile parce qu’un tantinet éclipsé par Tom Hanks.
  • Denzel Washington, bien entendu, pour ce rôle là aussi pas évident en face de Hanks, et surtout loin de l’image d’humanité qu’on avait l’habitude de voir chez lui dans ses rôles précédents. La première réaction qu’a Miller quand il apprend la maladie de Miller est des plus évidente et résume en quelques secondes les idées fausses véhiculées alors. Mais on ne pouvait laisser Washington dans ce rôle un brin négatif et son évolution va de pair avec la maladie de Beckett : alors que l’état général de ce dernier se détériore, la mentalité et l’attitude du premier s’améliorent, comme si ce que perdait Andy ne l’était pas pour tout le monde (perdu !). La dernière entrevue entre ces deux protagonistes est, bien sûr, la plus évidente.
  • Tom Hanks enfin, qui interprète là un de ses plus beaux rôles, avec en point d’orgue la séquence qui le voit commenter la musique qu’il fait écouter à Miller, Andrea Chénier (Umberto Giordano, 1896), avec la voix extraordinaire de La Callas, chantant La Mamma morta (« Ils ont tué ma mère », dit la traduction française officielle…). Il y a dans ce chant le même espoir et le même désespoir que ceux de Beckett, qu’il exprime avec une immense justesse, laissant Miller subjugué par ce qu’il vient de voir et d’entendre, tout comme l’est le spectateur. C’est très certainement le tournant du film pour ce dernier, le moment où il prend pleinement la mesure de son client qui n’est alors plus un client comme les autres.

 

Quant aux dernières paroles de cette aria, elle résume magnifiquement l’état dans lequel se trouve Andy à la veille de son audition :

« Corpo di moribonda è il corpo mio. / Ce corps de moribond est mon corps,
Prendilo dunque. / Prends-le donc.
Io son già morta cosa! » / Car je suis déjà morte.

 

Sublime.

 

  1. La perfection n’est pas de ce monde, et en plus, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous dire qu’il y a ceci ou cela qui ne va pas…
  2. On trouve toujours, 30 ans après, des pays où l’homosexualité est considérée comme contre nature sinon un délit, voire un crime.
  3. Ceux qui ne savaient pas comment se véhiculait le VIH.
  4. “I didn't raise my kids to sit in the back of the bus.”
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