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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #William Dieterle, #Drame, #Lillian Gish
Le Portrait de Jennie (Portrait of Jennie - William Dieterle, 1948)

Superbe.

Il y a dans ce film de Dieterle une volonté esthétique magnifique qui réussit à joindre deux univers opposés sur bien des points : la peinture et le cinéma.

La peinture, c’est un moment figé, une pause dans la vie, qu’elle soit celle de l’artiste ou de son modèle, voire du monde qu’il décrit. Alors que le cinéma c’est avant tout le mouvement, et ce n’est pas une coïncidence si on parle outre-Atlantique de « movie » pour qualifier un film : movie qui vient de move, signifiant bouger.

Et ici, non seulement Dieterle mélange avec bonheur les deux, mais en plus, il rend la peinture vivante, mouvante, et bien sûr émouvante.

 

Jennie Appleton (Jennifer Jones) est une jeune fille que croise Eben Adams (Joseph Cotten) lors d’une de ses promenades, déambulant dans New York à la recherche d’un éventuel acquéreur pour ses différentes productions, plutôt moyennes, sinon minables.

Et quand Jennie paraît, seule, dans ce parc vide, c’est un rayon de soleil qui entre dans sa vie.

C’est elle qu’il peindra, cette jeune fille qui ne casse de vieillir entre chaque nouvelle rencontre jusqu’à devenir la femme dans le portrait.

 

Deux ans après le tournage chaotique de Duel au Soleil, Dieterle retrouve donc Joseph Cotten et Jennifer Jones – ainsi que Lillian Gish, à nouveau une nonne (1) – dans une histoire fantastique mêlant le temps de la narration au temps qui s’écoule, permettant à deux êtres de se retrouver malgré tout, vivant alors une histoire d’amour impossible et donc très belle.

Le temps d’une année (à peu près), Eben Adams va voir Jennie mûrir pendant que lui n’est pas affecté, permettant à Jennie de réaliser un rêve enfantin : qu’il l’attende pendant qu’elle va grandir. C’est d’ailleurs le souhait qu’elle formule en sa présence, tournant trois fois sur elle-même en l’énonçant.

 

Et c’est là que Dieterle arrive au point de jonction de ces deux univers : « le temps est désarticulé » disait Hamlet (2), et l’histoire d’amour entre Jennie et Eben joue des failles temporelles. En effet, quand Eben rencontre Jennie pour la première fois, elle est en 1910, alors que lui-même est déjà plus de vingt ans après. Mais la magie du cinéma peut rendre possible cette rencontre étrange, jouant d’effets de lumière, de fumées, de brouillard.

De plus, chaque séquence est introduite par un effet de maillage sur l’image, retrouvant l’effet d’une image figée sur une toile, passant habilement de cette pose à un décor qui se met en mouvement, incluant ce décor figé dans une réalité, tout du moins celle du peintre.

 

Mais Jennie n’est pas prévisible et entre deux rencontres, il se confie : à son ami Gus O’Toole (David Wayne, rien à voir avec l’autre), mécano et conducteur de taxi, ou encore à Spinney (Ethel Barrymore, la sœur des, parfaite comme toujours). C’est d’ailleurs cette dernière qui supplante Gus, faisant partie du même milieu qu’Eben, l'art, mais en tant qu’acheteuse.

Il y a dans cette relation un écho de celle liant Eben et Jennie. Spinney, vieille demoiselle, donne l’impression de revivre ses amours anciennes, avortées bien évidemment, à travers ce couple original jusqu’à l’incrédulité. Et d’une certaine manière, Eben joue consciemment ou non avec ce regain sentimental inespéré chez Spinney, né d’une remarque, toute simple, sur ses beaux yeux.


C’est donc Spinney qui va accompagner Eben jusqu’au bout de son rêve, mais est-ce vraiment un rêve ?

Toujours est-il que cette fantaisie – dans le sens imagination ou tout autre terme s’y rapportant – va l’amener inévitablement vers Jennie et son destin déjà tout tracé (3). Cette ultime rencontre va encore être introduite par un brouillard dans lequel Eben navigue vers le phare qu’il a peint quelques années plus tôt et qui est primordial dans la vie de Jennie. Ce brouillard aveuglant est rapidement chassé par le vent pendant que le ciel gris est zébré d’éclairs verts, annonçant une séquence en technicolor pendant que le vert va continuer de s’imposer sur l’écran, où l’image répétée du tourbillon (4) qui va se développer, emportant bien sûr Eben et Jennie inévitablement, jusqu’à la fin qui voit le portrait de Jennie, enfin terminé (5).

Et en couleur !

 

 

  1. Cff. The white Sister (Henry King, 1923)
  2. « The time is out of joint » (Hamlet, acte I scène 5)
  3. Grâce au témoignage de Sœur Marie de la Miséricorde (la toujours belle Lillian Gish), témoignage de ce qu’il advint réellement de Jennie, témoignage aussi de l’amour qu’elle portait pour cette jeune fille.
  4. les nuages qui tournent et s’étirent, l’escalier du phare vue d’en haut, vue d’en bas... Cette dernière image n’est d’ailleurs pas sans rappeler le nombre d’or, élément pictural s’il en est.
  5. Il se passe tout de même quelques échanges avant le dernier plan du portrait.
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M
très belle découverte ce blog ! <br /> merci pour cet article bien complet
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D
Merci :)

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