Paris, 1942
Henri Neveux (Jean Gabin) revient d’Allemagne grâce à la mise en place du STO. Mais en arrivant rue des Prairies, la surprise est pour lui : sa femme vient de mourir en mettant au monde un troisième enfant, Fernand.
Paris, 1959
Les enfants ont grandi : Louis (Claude Brasseur) est champion de France de poursuite et sa sœur Odette (Marie-José Nat) abandonne la chaussure pour devenir mannequin.
Et Fernand (Roger Dumas) ? Il se bat au lycée et est finalement renvoyé, puis il est « ramassé » chez une prostituée. Bref, devant lui se profile la maison de correction.
Quatre ans après Chiens perdus sans Collier, Gabin retourne dans une histoire de délinquance infantile, mais cette fois-ci de l’autre côté : en père de famille un tantinet dépassé par les événements. Il faut dire que les années 1960 se profilent et la société est en plein changement. Les banlieues urbaines se construisent (Neveux est contremaître à Sarcelles), les voitures envahissent Paris, tout va de plus en plus vite… Nous sommes entrés de plain pied dans les Trente Glorieuses, dans ce qu’on va très vite appeler la « société de consommation ». Mais Henri Neveux, lui, est resté un homme d’avant, comme l’était son père.
Encore que… Sa relation avec ce fils trouvé est on ne peut plus moderne, si on la compare à celles de ses deux autres enfants, élevés à la dure, comme ça se faisait, dans le temps...
Mais malgré tout, nous restons tout de même dans la comédie, puisque la fin nous laisse un sourire. Il faut dire que le duo Gabin-Dumas fonctionne à merveille, et surtout, c’est Audiard qui est aux manœuvres pour le dialogue. On y trouve toute sa verve ainsi qu’une de ses passions, partagée avec le même Gabin : le vélo. Et la démonstration que nous offre ce dernier – Gabin fait toujours du Gabin, que voulez-vous – est mémorable, encouragée par un de ses complices habituels, Paul Frankeur (Ernest). Parce Gabin fait du Gabin, et c’est ce qu’on lui demande. Mais dirigé par La Patellière, ça devient du grandiose. Et Neveux est un personnage différent de ceux qu’on a l’habitude de voir : père de famille. Certes il l’était dans sa vraie vie, mais à l’écran, c’est autre chose !
Il n’est pas encore la patriarche (L’Affaire Dominici ou La Horse), ni le flic revenu de tout (Le Pacha) : il est ici un homme ordinaire, avec une vie ordinaire et surtout des doutes. Pas sur Fernand, mais sur l’éducation qu’il leur a donnée (ou non). Il devient faible, parce que dépassé par les événements. Il faut dire qu’entre le succès de son fils Louis, celui de sa fille et les frasques du dernier, il y a de quoi ne plus s’y retrouver.
Et comme en plus les deux premiers l’abandonnent, il se retrouve avec le seul qui n’est pas de lui ! De quoi perdre la tête. Ce qu’il ne fait pas, rassurez-vous.
Et si Gabin est le personnage central de l’intrigue, ce film reste tout de même une belle illustration de la jeunesse française de cette fin de décennie. Les jeunes gens sortent et vont (encore) danser, usant de leur jeunesse comme d’une arme offensive (la rencontre dans la guinguette avec le Vieux est démonstrative). Ils veulent s’émanciper des parents – fatalement et inévitablement – vieux jeu. Et encore, 1968 n’est pas passé par là !
Quoi qu’il en soit, La Patellière s’en sort très honorablement et nous propose un film où même si Gabin fait du Gabin, le propos reste plaisant et toujours d’actualité.
Il faut dire que nous retrouvons autour de lui des visages connus : outre Frankeur, on reconnaît Louis Seigner, Paul « Henri » Mercey, ou encore Guy « Roger » Decomble, Alfred Adam, Jacques Monod… Et l’incontournable Bernard Musson et son mètre quatre-vingt-dix !
Sans oublier la note d’authenticité avec la présence de deux noms de la télévision (qui se développe à grandes enjambées) : Raymond Marcillac et le Gros Léon (Zitrone). Bien entendu, pour les générations actuelles, ce dernier n’évoque rien, mais pour les autres, c’est tout un pan de la télévision qui est devant nos yeux ! Avec son enthousiasme légendaire !
Je terminerai en parlant de la structure du film. A sept reprise, nous avons droit à un plan fixe de la Tour Eiffel, à différents moments de la journée : sept, comme les jours de la semaine. Mais les différences notables pourraient nous faire croire que tout se passe en une seule journée puisque la lumière décline avec le moment du jour pour se raviver comme pour un lendemain.
Cela n’engage que moi, mais cela donne une impression qu’une journée – ou une partie de vie – se termine et qu’une autre commence, et heureusement ensoleillée.
Parce que c’est ce qu’il se passe dans ce film, autour de la relation entre ces deux familiers qui n’ont aucun véritable lien, mais qui sont malgré tout très attachés l’un à l’autre.
Les ennuis s’amoncèlent alors que la journée s’avance (et la nuit s’installe), et la nouvelle (et belle) journée qui s’annonce voit enfin poindre l’optimisme attendu.
Avec une dernière fois du Gabin, mais ça, on ne peut pas y échapper !