Elle est belle.
Elle est libre.
Elle arrive de San Francisco par paquebot et s'en va vers Apia.
Elle s'appelle Sadie Thomson (Gloria Swanson).
Mais sur ce même paquebot, deux couples : les McPhail (Charles Lane & Florence Midgley), des touristes américains venus visiter Pago-Pago (Samoa), et les Davidson (Lionel Barrymore & Blanche Friderici), deux réformateurs venus civiliser les sauvages de l'île. Bref, de tristes bigots.
Attention scandale (en 1928) !
Sadie Thomson est une femme de son temps. Et même un peu plus. Elle est seule, elle fume, et les hommes ne sont pas insensibles à son charme. Surtout les soldats (marines) de Pago-Pago, où les femmes « blanches » ne sont pas légion. Alors quand Sadie arrive, c'est un ouragan dans l'île. Tous veulent être présentés, l'aider à récupérer ses affaires, l'accompagner... Bref, elle devient la star de l'endroit. Mais c'est sans compter sans Davidson qui, comme annoncé est un bigot desséché flanqué d'une femme puritaine.
Mais Sadie Thomson, c'est avant tout l'affrontement de deux stars du cinéma : Gloria Swanson et Lionel Barrymore.
Chacun dans sa spécialité est phénoménal : Swanson en femme (pas si) facile et Barry more en père-la-vertu abject.
Parce qu'il s'agit avant tout de deux conceptions du monde qui s'affrontent : le Bien (le religieux Davidson) et le Mal (Sadie la dévergondée).
L'apparence, autant que le jeu de ces deux acteurs est primordiale : Sadie élégante, est insouciante et rit de bon cœur avec « son armée », alors que Davidson, austère ne sourit jamais, comme le déplore Joe Horn (James A. Marcus).
Mais alors que Davidson prend l'ascendant sur Sadie, son esprit s'égare et se perd : en « sauvant » Sadie, c'est lui-même qu'il va perdre.
Malheureusement, ce film, longtemps considéré comme perdu, est amputé de ses dernières minutes. C'est quand la tension dramatique atteint son apogée que les images manquent. Reste le découpage et les intertitres recréés, illustrés de quelques photos. Il faut dire qu'un réformateur de la trempe de Davidson qui cède à une fille comme Sadie, ce n'était pas vraiment politiquement correct... Et Hays et sa clique s'en souviendront quand il s'agira de rédiger un Code...
Pourtant, quelle belle histoire nous avons là. Ce bigot forcené, fanatique même, est très bien réussi et Barrymore donne toute la mesure de son talent pour l'interpréter. On se prend rapidement à le détester ! Alors que Gloria Swanson est une Sadie parfaite. Elle possède cette insouciance des femmes américaines des années 1920, découvrant petit à petit la liberté et le monde du travail. Mais quel travail ? On ne le saura jamais, même si elle fait référence à un engagement précédent où elle chantait... Si on n'écoutait pas trop attentivement !
Et la scène où Sadie approche de la folie alors que la pluie* tombe drue ressemble à une autre scène d'un film de la même année : Lillian Gish devenant touchant aussi la folie dans Le Vent.
Raoul Walsh nous offre ici un très beau film sur la tolérance avec une Gloria Swanson merveilleuse : il la filme avec beaucoup d'attention, la rendant encore plus belle qu'elle n'était. Elle illumine l'écran, dans ses habits d'élégante comme dans sa robe d'allure monacale.
Magnifique.
[Ne parlons pas de l'adaptation du titre original. Non. N'en parlons pas, on pourrait se fâcher...]
* D'après Rain de John Colton & Clemence Randolph, adaptée de la nouvelle éponyme de Somerset Maugham