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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Muet, #D.W. Griffith, #Lillian Gish
Naissance d'une Nation (The Birth of a Nation - D.W. Griffith, 1915)

D’un côté le Nord, abolitionniste.
De l’autre, le Sud esclavagiste.

Pourtant, c’est une seule et même nation.

Les Stoneman et les Cameron en sont un bon exemple : les enfants de ces deux familles sont amis de longue date, malgré leur différence géographique.

Mais quand le conflit éclate, chacun se retrouve dans son camp, luttant pour ses convictions.

 

La Guerre de Sécession, que les Américains appellent à juste titre « Civil War » (guerre civile) est un des thèmes de prédilection d’Hollywood. Mais en 1914, quand Griffith met en chantier ce film, c’est un sujet qui n’est pas encore très usité. Mis à part deux premiers courts métrages du même Griffith, rien de notable.

Mais là où  Griffith révolutionne et popularise le genre, c’est qu’il propose un film de plus de trois heures, enchaînant des reconstitutions historiques et des intrigues multiples avec l’incontournable sauvetage de dernière minute.

C’est absolument époustouflant, une date dans l’histoire du cinéma.

 

Oui mais…

Mais rarement un point de vue aussi tranché et raciste n’a été exposé dans un film. Après une première heure traitant du conflit à proprement parler, Griffith décrit un monde sudiste en décrépitude, exploité par de « méchants Noirs » qui ne désirent qu’une chose : éliminer le Sud blanc pour faire régner une suprématie noire. Ils sont encouragés pour cela par un extrémiste blanc, Austin Stoneman (Ralph Lewis), et conduits par un mulâtre exalté, Sylas Lynch (George Siegmann).
Et d’une façon générale la deuxième partie décrit une population blanche victime des exactions commises par la population noire, sorte de revanche contre ceux qui furent leurs maîtres pendant l’esclavage.

 

Dans la deuxième heure, Griffith nous montre donc une situation qui se détériore pour la population blanche du Sud, amenée par les carpetbaggers (terme péjoratif qui désignaient les profiteurs de guerre pour les Sudistes) du Nord. Cela passe par des élections truquées amenant les Noirs au pouvoir des assemblées d’Etat. Mais ces nouveaux élus nous sont montrés comme des gens frustes et incultes, déjà corrompu par ce nouveau pouvoir.

Mais au-dessus de ces « méchants Noirs » on trouve le personnage de Lynch, un mulâtre, autrement plus mauvais car d’une fourberie incommensurable. L’autre personnage mulâtre, une servante de Stoneman est d’ailleurs elle aussi très fourbe

Cette présentation des ravages créés par cette nouvelle situation intolérable pour les « vrais » Sudistes culmine avec la mort de la Petite Flora (Mae Marsh) qui préfère mourir plutôt que se déshonorer.

 

C’est ce dernier événement qui va amener le fils Cameron (Henry B. Walthall) à créer le Klan une milice qui aspire à retrouver l’ancienne grandeur du Sud.

Mais d’une façon générale, les Sudistes sont montrés par Griffith comme des gens extrêmement vertueux et ayant un grand sens de l’honneur. Le fait que Griffith soit originaire du Sud est le moteur de sa vision manichéenne du conflit. Alors que les spectateurs connaissent très bien le sort des combats en allant voir le film, Griffith traite l »e sujet du point de vue de son Sud. Et l’extraordinaire reconstitution de la seconde bataille de Petersburg  (15-18 juin 1864) est orchestrée avec un point de vue hautement partial.

Dans le sens de lecture du conflit qui nous est offert, le Sud se situe toujours à gauche de l’écran et attaque vers la droite. Or nous avons pour habitude de représenter l’évolution du temps (ou d’autre chose) dans ce même sens. Le Sud en se déplaçant dans le sens gauche-droite prend alors le rôle du progrès, du bon côté, alors que le Nord, marchant dans l’autre sens ne peut qu’être réactionnaire.

 

Autre dichotomie pertinente de cette opposition entre un Sud noble et un Nord ignoble (dans le sens premier du terme, c'est-à-dire contraire de noble) est la reconstitution de la reddition de Lee (Howard Gaye) à Grant (Donald Crisp) à Appomattox.

Les deux hommes sont assis chacun devant un bureau et signent les documents de fin de la Guerre. Mais si Lee garde toujours une posture droite et pleine de dignité, Grant est perçu comme un homme plutôt fruste, fumant le cigare, un sourire narquois aux lèvres. Même lors de la poignée de main qui enterre la guerre, Lee conserve son allure aristocratique et digne, alors que Grant est encore plus désinvolte, son autre main restant dans sa poche, comme un homme sans éducation.

Avec ce film c’est le côté romantique du Sud qui se forme, cet aspect qui sera magnifiquement filmé 25 ans plus tard par Victor Fleming dans Autant en emporte le Vent.

Mais peut-on réellement reprocher cette vision du Sud à un homme qui a grandi avec la honte de la défaite humiliante ?

 

Au-delà de cette vision manichéenne et raciste, on retrouve tout de même quelques moments de grand cinéma, outre la formidable bataille sus mentionnée.

La reconstitution du 14 avril 1865, quand Lincoln (Joseph Henabery) est assassiné par Booth (Raoul Walsh) est superbe, tout comme l’annonce du conflit à travers les petites histoires de la maison Cameron lors de la visite des frères Stoneman (Elmer Clifton & Robert Harron), avec la promesse prémonitoire et funeste de se revoir bientôt.

 

Un petit mot enfin sur la musique qui accompagne le film. Lors de la première, pour la première fois un orchestre accompagna le film donnant une dimension encore plus grande au film (comme s’il en avait besoin), on retrouve  les thèmes chers au Sud (Old Folks at home, Dixie, Maryland my Maryland, etc.) et un emprunt à la Chevauchée de la Walkyrie de Wagner accompagnant les cavaliers du Klan qui s’en vont délivrer le Sud.

Bref tout pour exalter cette nation dans la Nation.


Au bout de trois heures de nos jours, et comme le dit mon cher ami le célèbre professeur Allen John, on est mitigé devant ce film. On loue d’un côté un spectacle extraordinaire qui est proposé, la technique magnifique et un montage toujours bien rythmé, mais on ne peut s’empêcher de condamner l’idéologie véhiculée par ce film : la suprématie blanche du Sud qui si elle ne fit pas revivre le KKK comme on le dit souvent, mais qui n’a rien fait pour l’éliminer et l’a au contraire encouragé, amenant des démonstrations de force dans la décennie qui a suivi*.


Dernier argument du film : il y a Lillian Gish, alors…

 

 

* Voir à ce propos D.W. Griffith, Father of Film – épisode 1,  par Kevin Brownlow & David Gill.

Naissance d'une Nation (The Birth of a Nation - D.W. Griffith, 1915)
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