« Qu'ai-je fait ? »
C'est toujours ce qu'on dit quand on réalise qu'on a fit une terrible bêtise (une c...) et que rien ne peut plus l'empêcher.
Et c'est ce que pense le colonel Nicholson (Alec « Obi-wan » Guiness), officier commandant une armée de prisonniers de guerre dans la jungle birmane, quand il réalise dans quelle situation il se trouve.
Mais il est trop tard. Quoi que...
Nicholson est colonel de l'armée de sa gracieuse Majesté George VI. Il commande une armée faite prisonnière « volontairement » des armées japonaise. Pourquoi ? On ne le saura jamais. Mais certainement pas pour construire un pont sur cette fameuse rivière.
Et pourtant, c'est ce que ces hommes vont faire. Un magnifique pont pour relier Rangoon (Birmanie) et Bangkok (Thaïlande).
Mais les Alliés veillent : il faut faire sauter ce pont !
Vingt ans après Renoir et la Grande Illusion, David Lean s'essaye au film de prisonniers de guerre, trois ans avant la grande Evasion mais déjà quatre ans après Stalag 17 où Wilder avait déjà décrit les conditions de vie des prisonniers alliés dans un camp allemand.
David Lean nous emmène dans la guerre du pacifique (celle que nous Français ne connaissons pas beaucoup), dans un camp japonais - réputé difficile, comme tous les camps japonais - dirigé d'une main de fer par le colonel Saïto (Sessue Hayakawa) - encore un colonel - en plein milieu de la jungle birmane. Les conditions de vie sont difficiles, il suffit de voir le nombre de tombes qui jonchent la voie ferrée et les abords du camp pour s'en convaincre. Mais Lean ne se concentre pas sur cet aspect. Il filme les vivants, et de deux d'entre eux en particulier : les deux colonels.
Ce sont deux officiers de même grade, mais ennemis. En plus d'être dans des camps antagonistes, ils appartiennent à deux civilisations totalement différentes, voire incompatibles.
D'un côté, le soldat oriental, adepte scrupuleux du Bushido (code d'honneur samouraï), intraitable, fier, guidé par l'honneur : Saïto.
De l'autre, le soldat britannique, respectueux de la convention de Genève, intraitable lui-aussi, orgueilleux, guidé par sa suffisance et son arrogance : Nicholson.
Ces deux hommes sont bouffis d'orgueil. Aucun ne cèdera avant l'autre, mais malgré tout, c'est Saïto qui flanche, pressé par le temps. Mais il ne veut pas perdre la face, alors il prend comme prétexte une fête nationale pour revenir sur ses positions et adoucir la vie des prisonniers. En clair : il abandonne la partie. dès lors, il dirigera le camp, mais pas autre chose. Il s'agit d'un coup d'état particulier : le commandement anglais a pris la tête des opérations, et Saïto n'est plus qu'un exécutant, répétant à chaque demande anglaise qui sera de facto satisfaite: « j'ai donné les ordres. »
C'est un revers terrible pour Saïto. Il est déshonoré. Dès que le pont sera inauguré, il sait ce qu'il lui reste à faire. Tout est prêt.
Et le film ne serait pas complet sans la partie commando, et surtout ses deux membres principaux : Shears (William Holden, toujours aussi bien), et Warden (Jack Hawkins), british jusqu'au bout des ongles. Une autre opposition de style entre ce Yankee et cet officier très supérieur.
Cette opposition est accentuée par le fait que Shears n'a pas d'autre alternative que de retourner là d'où il s'est évadé, frôlant la mort pendant son périple. Cette opposition, par contre, ira en s'atténuant, le devoir l'emportant sur les sentiments personnels.
Et toutes ces oppositions pour quoi, en fin de compte ?
Une escalade d'orgueil, d'arrogance et de futilité(s), si on regarde bien. On pourrait presque penser que le méchant n'est pas là où on le penserait, quand on voit l'attitude de Nicholson.
A chacun de se faire son idée.
Finalement, c'est Clipton (James Donald) qui a raison devant le résultat de toute cette opération : folie. Parce que ce n'est rien d'autre qu'une folie, la guerre. Et ce que nous venons de voir en est une démonstration magistrale.
Il n'empêche, quand le film se termine, une irrépressible envie vous prend de siffler...
... Ou pas !