Une petite ville du Texas, au milieu des années 1960…
C’est samedi et tout le monde attend avec impatience le soir pour se délivrer d’une semaine de travail à travers diverses fêtes et autres beuveries hebdomadaires.
Parmi eux, le jeune Jake Rogers (James Fox), fils de Val (E.G. Marshall), le magnat local, qui va retrouver la belle Anna Reeves (Jane Fonda), seule depuis que son mari Bubber (Robert Redford) est en prison.
Mais ce samedi, c’est le jour qu’a choisi (?) le même Bubber pour s’évader avec un complice meurtrier. Mais Bubber n’est pas si bête, il veut atteindre le Mexique. Sauf qu’il se trompe de train : il saute en marche, pas bien loin de chez lui.
Alors, à défaut de Mexique…
Si le titre français est plus explicite que l’original (1), il n’en demeure pas moins un brin réducteur. En effet, si poursuite il y a, elle n’est pas le seul élément de ce film coup de poing, reflet d’une époque autant que sa dénonciation, reprenant certains aspects très américains dont certains empruntés au western.
Nous sommes en 1966 quand sort le film sort, en pleine lutte pour les droits civiques et surtout la fin de la ségrégation dans le Sud. Et le film y fait référence à travers les propos de ceux qui en sont les chantres, surtout dans cette petite ville alcoolisée ce samedi soir. On y retrouve même des attitudes ouvertement racistes héritées du passé esclavagiste (nous sommes dans le Sud, ne l’oublions pas) :
- le jeune homme qui se promène et qu’on prend pour Bubber (2) ;
- le personnage de Lester Johnson (Joel Fluellen) – noir lui aussi – qui veut aider Bubber et Anna : il est surpris chez cette dernière et si le shérif Calder n’intervenait pas, il serait tué sur place.
Et cette « poursuite impitoyable » va mettre du temps à le devenir, Arthur Penn prenant son temps pour bien installer son décor et ses personnages : non seulement l’alcoolisme est l’activité première de tous ces « bons citoyens », mais à cela s’ajoute une propension à l’adultère totalement assumé, amenant même des plaisanteries – au goût douteux, est-il besoin de le préciser – sur la libération sexuelle qui est alors en train de se développer.
Nous allons alors assister à cette poursuite qui sera belle et bien impitoyable puisqu’on comptera deux morts à l’arrivée.
Mais si cette poursuite se met en place, c’est avant tout ce qui va l’amener qui semble avoir retenu l’attention du réalisateur : en plus de l’alcool, la rumeur va se propager, avec son lot de mensonges, de distorsion et surtout de mauvaise foi.
Alors nous basculons – bizarrement – dans l’un des aspects western de ce film avec la mise en place improvisée d’une espèce de patrouille pour retrouver Bubber – et le tuer, cela va de soi : tout ce qu’il faut pour un lynchage.
Mais nous sommes dans les années 1960 et ce n’est plus la même façon de procéder (3). Et surtout, une dimension spectaculaire apparaît : le lynchage devient médiatique – comme on dit de nos jours – et les habitants de cette petite ville vont s’y rendre, avant tout par curiosité (les jeunes gens surtout), et cette traque va prendre une tournure festive : les jeunes y chantent, on allume des feux de détresse…
Il faudra l’intervention de la police pour faire cesser tout cela, mais trop tard.
Il n’y aura pas de lynchage, comme dans The Oxbow Incident ou Fury, mais on retrouve dans le film la même violence qui s’exprime autrement et aboutit encore une fois à une tragédie. C’est cette violence qui est aussi très importante ici, favorisée par l’absorption d’alcool et la bêtise généralisée de ces Texans vindicatifs et armés. Parce qu’ils sont armés. Et trouvent cela tout à fait normal. C’en est même un jeu qui va inévitablement amener le drame annoncé.
Par contre, à la différence des lynchages déjà cités, ce n’est pas la foule qui veut se faire justice : seulement un trio de personnages à la moralité très relative. La foule est présente mais en tant que spectatrice. A aucun moment elle n’intervient, se repaissant du spectacle avec plus ou moins de plaisir (4). Il faut voir Calder-Brando sortir en sang de son office pour s’en rendre compte : le visage tuméfié, la chemise maculée, et pas une personne qui se déplace pour le soutenir, tous regardent.
Bien sûr, la violence est omniprésente, et Arthur Penn va la graduer et la faire enfler petit à petit pour arriver aux échanges de coups. La séquence qui voit le shérif se faire amocher par les trois salauds (5) est d’un réalisme terrible et le maquillage qui suit donne une image tout aussi réaliste des effets : il ne s’agit pas seulement d’un œil entouré de noir comme on a pu longtemps le voir (l’œil est entouré mais bien ouvert !).
Arthur Penn signe (enfin je me comprends, il a désavoué le producteur après le montage) un film magnifique – encore une fois – et s’inscrit très bien dans cette décennie qui va changer le cours du XXème siècle, à travers cette petite ville texane où les vieux réflexes sauvages ont la vie dure. Il est soutenu dans cette tâche par une distribution -prestigieuse, évidemment – à la hauteur des enjeux, avec Marlon Brando en tête, bien sûr, mais aussi Jane Fonda ou encore Robert Redford qui n’est pas encore la vedette que nous connaissons (mais ça ne va pas tarder. De plus, les femmes n’y sont pas absentes et participent activement à cette intrigue, montrant pour la plupart une grande force de caractère. C’est le cas d’Angie Dickinson (Ruby Calder) ou encore la vétérane Miriam Hopkins (la mère de Bubber). Et puisqu’on en est aux vieilles gloires, on notera la présence de Bruce Cabot dans le rôle du père d’Anna : ce n’est plus le jeune héros de King Kong…
- La Traque serait une possibilité
- Encore une preuve de l’alcoolisme ambiant de la ville : ce jeune homme est noir.
- Même si le résultat est le même.
- La télévision qui s’est installée dans la décennie précédente peut expliquer cette attitude passive et un tantinet teintée de voyeurisme : on s’y repaît d’images toujours plus violentes.
- Difficile de trouver un autre terme pour ce trio.