New Orleans, 193…*
Un enterrement. La musique lente de la fanfare funèbre rythme les déplacements, obligeant un jeune homme à s’arrêter. Puis à repartir, d’un bon pied, serein et confiant dans son avenir. Son rythme de marche sera bientôt celui de ce même enterrement une fois la cérémonie passée.
Ce jeune homme, c’est Eric Stoner (Steve McQueen), le Kid de Cincinnati, le joueur de stud poker le plus doué de sa génération.
Au même moment arrive en ville l’Homme : Lancey Howard (Edward G. Robinson), la légende vivante du poker.
Alors évidemment, ils ne peuvent que se rencontrer.
Quatre ans après L’Arnaqueur, Norman Jewison nous propose (après avoir été préféré à Peckinpah) un duel de virtuoses de générations différentes. D’un côté, le Kid, l’homme qui monte, le jeune loup qui veut en découdre. Et de l’autre, une vieille gloire du circuit, qui n’a pas encore dit son dernier mot.
Nous assistons alors à une partie d’anthologie ou le Kid joue sa vie – littéralement – sur un coup de poker. En face, Lancey est un vieux briscard, au regard fatigué toujours égal, invariablement imperturbable.
Parce que tout est dans le regard. C’est lui qui fait gagner ou perdre. Plus que le jeu en lui-même.
Celui de Pig (Jack Weston), quand il voit que la situation lui échappe, celui de Yeller (« Le crieur », Cab Calloway), navré de devoir abandonner tout comme Sokal (le calculateur, Milton Selzer).
Et le coup final se jouera aussi au regard, mais ce seront ceux des spectateurs présents, alors qu’en voix-off nous entendrons la réflexion de chacun. Même celle du Kid, mais toujours avec le regard impassible du véritable joueur.
Ce dernier coup est l’aboutissement de la partie. Celui où, soit on gagne, soit on meurt (hum…). Et Norman Jewison nous embarque dans une sorte de western moderne. Certes, il n’y a aucune arme à feu, mais l’issue de ce duel de cartes ne fait aucun doute quant au sort du perdant. Il sera non seulement repassé financièrement, mais en plus il sera fini auprès des cercles de jeu : ce sera la mort du joueur.
Comme dans un western, il y a le virtuose que chaque jeune personne veut rencontrer pour prendre sa place : devenir la nouvelle légende. Et de la même façon, le duel final se joue devant un public qui a fait son choix. Les encouragements se font en silence pour ne pas troubler la concentration des deux protagonistes.
Et comme Frank dans Il était une Fois dans l’Ouest, le perdant n’en revient pas de s’être laissé abuser.
Et puis il y a Steve McQueen. Et comme d’habitude, il est « cool ». Son regard bleu est extraordinaire. Même quand il ne parle pas, qu’il ne bouge pas, il est présent. Il émane en lui un charisme prodigieux, qui lui sert à merveille dans ce rôle de joueur de poker. Avec un tel regard, il est difficile de le situer. Alors que l’inverse n’est pas possible.
En face de lui, Edward G. Robinson représente la vieille génération. Trente ans avant, c’est lui qui aurait pu être le Kid. C’est d’ailleurs à la période où se passe le film que Robinson tenait le haut de l’affiche.
Mais si Lancey est un vieux joueur, près de la retraite, il n’en demeure pas moins un grand joueur, et même un « monsieur ». Et son regard, plissé et fatigué vaut autant que celui de McQueen.
Une magnifique rencontre au sommet.
* Le Président des Etats-Unis est alors Franklin D. Roosevelt, et sa politique le « New Deal » (« nouvelle donne », comme à chaque tour de jeu…).
En tout cas, nous sommes après 1935, puisque Christian (Tuesday Weld) et Melba (Ann-Margret) sont allées voir La Kermesse héroïque de Jacques Feyder, en version originale sous-titrée.