Imaginez un monde harmonieux, où les conflits ont disparu. Un monde égalitaire où personne ne jalouse son voisin. Où chacun a sa place. Un monde sans dirigeant où le bien-être de la communauté est le but ultime. Un monde où les règles sont appliquées ans être remises en question.
Ce monde existe.
Dans la philosophie et dans ce film.
Le seul problème de ce monde : l’absence d’émotion. Un monde déshumanisé.
Mais heureusement pour nous, spectateurs, il y a Jonas (Brenton Thwaites). Jonas n’est pas comme les autres : il perçoit des images étranges, comme des reflets qu’il a du mal à qualifier.
Et quand le jour de la Cérémonie, chacun est assigné à un rôle social, tous les jeunes gens sont placés sauf Jonas : ses aptitudes particulières en font le nouveau Gardien de la Mémoire.
C’est lui doit recevoir la mémoire du monde : celui d’avant, que les hommes ont détruit, du fait de l’exacerbation des émotions.
Pour cela, il va devoir travailler avec le Passeur (Jeff Bridges formidable, mais peut-il en être autrement ?).
Dès la séquence d’introduction, le ton est donné : nous découvrons cette société idyllique et futuriste où tout n’est qu’harmonie.
Mais cette harmonie dépourvue d’émotion est bien entendu bien triste : c’est un monde en noir et blanc où chaque échange verbal est vide de toute passion, systématique : les dialogues s’enchaînent platement, chaque assertion amenant une réplique prévue dans le sens fort du terme.
L’utilisation de la couleur ou non est l’une des plus belles illustrations de ce monde aseptisé où, comme de bien entendu, un de ces membres va amener une sorte de révolution. Comme tous les autres films dystopiques qui fleurissent pendant les années 2010s, c’est encore une fois un adolescent différent qui amènera lez changement et donc le bonheur. Mais alors que dans des séries comme The maze Runner ou Divergent, le changement se fait dans la violence parfois meurtrière, ici, le seul moment de violence auquel nous assistons est un coup de poing dans la figure (1) que Jonas envoie à son ami (2) Asher (Cameron Monaghan).
Et donc il y a le « Passeur » (3). C’est un homme âgé qui est le gardien de la mémoire mais qui doit transmettre son savoir à un plus jeune qui prendra sa place. Jeff Bridges est magnifique dans ce rôle d’initiateur : le dernier véritable humain de ce monde meilleur.
C’est là que le film prend toute sa dimension. Phillip Noyce met le spectateur à la place de Jonas et lui fait éprouver ces nouvelles sensations : des émotions. C’est une véritable prise de conscience de ce qu’est (ou devrait être) le monde. Ou tout du moins ce qu’il était. Avec Jonas, nous découvrons les couleurs et au fur et à mesure que le film avance, par petites touches au début, puis de plus en plus jusqu’à l’assimilation complète du spectre lumineux. Dès lors, deux visions de ce monde s’offrent à nous : en couleurs pour Jonas et en noir et blanc pour les autres.
Il y a dans ce monde qui nous est proposé une réminiscence de celui proposé par George Orwell dans son 1984. Mais de façon beaucoup plus insidieuse : en éliminant les émotions, la société proposée n’est pas différente de celles des pays totalitaires que nous avons connu au XXème siècle (et qui existent toujours, malheureusement) où chacun doit obéir et ne pas se distinguer des autres sous peine de châtiment : il n’y a plus de libre arbitre, cette capacité de chacun de faire des choix, condition ultime et indispensable pour être un être humain. La cheffe des Anciens (Meryl Streep, toujours magnifique), toute pétrie de bonnes intentions et malgré tout sincère, n’est finalement pas si éloignée de Staline (3). Quand Jonas se démarque totalement du mode de vie communautaire, elle n’a alors qu’un seul recours : la répression.
Mais au-delà de la portée politique du film, il ne faut pas oublier le public ciblé : les adolescents. En effet, si le film a remporté un grand succès auprès de cette catégorie de la société, c’est avant tout parce que Jonas, à travers son initiation, entre progressivement dans l’âge adulte. A raison, on a parlé de renaissance pour l’adolescence : les jeunes filles et garçons (re)découvrant leur corps et leurs sensations, éprouvant alors de nouvelles émotions, fortes, voire exacerbées. C’est ce passage (4), en foin de compte que nous montre Noyce, par petite touche, comme s’il coloriait le tableau qu’il n’avait fait qu’ébaucher avant le début de l’initiation de Jonas, avec comme point d’orgue indispensable : l’Amour.
PS : lors de sa sortie, les amateurs du livre de Lois Lowry – dont est tirée l’intrigue – ont crié au scandale, comme (presque) toujours quand il s’agit d’adapter un roman.
Je ne reviendrai pas là-dessus pour deux raisons :
- Je n’ai pas lu le livre ;
- Nous sommes au cinéma.
Cette dernière raison est, à mon avis, la meilleure : le cinéma a toujours été – et restera je l’espère – l’un des meilleurs medias d’émotions.
- Je parle bien entendu de la violence dans cette communauté.
- L’amitié présuppose plus que des sentiments, d’où l’incongruité d’un tel terme dans ce monde.
- Cette analogie avec le communisme me semble la plus pertinente.
- Le terme « passeur » pour traduire le titre original (c’est ainsi qu’il fut utilisé au Québec) est me semble-t-il plus pertinent. Cet homme isolé de la communauté ne fait pas que transmettre un héritage : à l’instar de Charon ou de ceux qui font traverser un cours d’eau, il emmène ce jeune homme – encore un peu enfant – de l’autre côté, vers l’âge adulte.