D’abord il y avait le roman de Mario Puzo (1969). Maintenant, il y a la fresque cinématographique de Coppola.
Il y a aussi un avant et un après le Parrain. Avant, jamais on n’avait pris un tel point de vue sur des truands. Les trois grands films de gangsters – Little Caesar, The public Enemy & Scarface – qui ont posé les bases du genre n’ont pas cette approche. A chaque fois, il s’agit de caïds sans scrupule dotés d’un esprit déséquilibré (il n’était pas question qu’on puisse s’identifier à eux !).
Ici, pas de scrupule non plus, mais pas d’aliénation mentale. Ce sont des gens normaux – leur morale mise à part. Il n’est pas question d’agir sous le coup de la colère. Le seul qui agit ainsi, c’est Sonny (James Caan), le fils ainé. Mais on sait où ça le mène.
Au contraire, Vito – puis Michael – sont des gens froids qui font leur travail. Ce qui se passe, cette violence n’est pas le résultat d’une vengeance ou quelque autre raison personnelle : il s’agit des affaires (« business »). Ce sont les affaires (illégales, évidemment) qui régissent leurs actions : diriger pour faire de l’argent. Vito Corleone (formidable Marlon Brando), puis Michael (Al Pacino) ne sont rien d’autre que des chefs d’entreprise, des hommes d’affaires. Leur empire est structuré comme une armée, ce qui aide beaucoup en cas de guerre des gangs.
Mais au-delà du film de gangsters, nous assistons à une tragédie classique. La première séquence – scène d’exposition – jette les bases du film (et même de la saga). Vito marie sa fille (Talia Shire), et pendant que les convives s’amusent et dansent, les affaires continuent. On vient voir Vito – le Parrain – pour lui demander des services (qui sont tout sauf gratuits !). Mais cela est fait avec les formes : respect et honneur sont les maîtres-mots de ce monde.
Le respect est la base des rapports entre ces hommes. On n’élève pas la voix, on mesure ses paroles. La réprimande de Vito envers Sonny qui s’emporte, est d’une sévérité glaçante. Vito est un homme de peu de mots ou d’actes mais à chaque fois, il touche juste : il fait toujours une offre qu’on ne peut pas refuser.
Si, dans ce système héréditaire, Sonny devait hériter, on sait rapidement qu’il ne peut égaler son père. Seul Michael a les épaules, le charisme et l’attitude paternelles. Lui aussi parle peu. Et quand il agit, il a la parcimonie implacable de son père : il frappe où il faut, quand il faut.
Et puis il y a l’honneur. Un membre de sa famille est abattu : Michael doit laver l’honneur familial dans le sang. Nous sommes proches de Don Diègue demandant à Rodrigue de laver son affront. Michael, comme Rodrigue, tuera les responsables (ou du moins, les fera tuer).
Mais « ça n’a rien de personnel. Seulement les affaires. »
Normal, puisque les affaires, et la famille, c’est la même chose.
Avec ce film, Coppola révolutionne le genre. A la violence sans tache des années 1930-50, succède une nouvelle violence héritée du western crépusculaire : le sang devient un élément visuel très fort. Non seulement il laisse une trace (sur le manteau de Vito, par exemple), mais en plus, il coule (presque) à flot (voir la mort de Moe Green, par exemple).
Leone (Il était une Fois en Amérique) et Scorsese (Goodfellas, Casino) sauront exploiter cette technique nouvelle pour notre plus grand bonheur.
Et puis pour être sûr que c’est du Coppola, l’avant-dernière séquence au montage parallèle est plus que pertinente : magistrale !
Deux ans plus tard, Coppola nous propose une suite des aventures du parrain : une offre qu’on ne peut décidément pas refuser.