Une très jeune fille (Mary Jane Irving) s’éteint dans les bras de Judy (Lina Basquette), rassérénée par les paroles d’espoir du policier. En fond sonore, Carl Davis (1) utilise le thème récurrent de la Passion selon Saint Matthieu (J.S. Bach, 1727-1736).
C’est le point culminant de la première séquence qui voit s’affronter des jeunes gens aussi fanatiques les uns que les autres : les athées et les chrétiens.
Nous sommes en 1929, et Cecil B. DeMille signe ici son dernier film muet, renvoyant (presque) dos à dos les deux camps, sur un scénario (encore) génial de la grande Jeanie McPherson.
C’est un véritable chant du cygne, où DeMille nous montre qu’il sait filmer autre chose que des bondieuseries (2), ou des intrigues de boudoirs.
Il nous montre ici son immense talent, qu’il va pourtant beaucoup cacher dans ses films ultérieurs.
De plus, les différents interprètes du film sont tous d’une très grande justesse dans leur jeu, donnant au film le lustre nécessaire pour être classé dans les chefs-d’œuvre.
Ca commence donc par un affrontement entre deux camps, où malheureusement une jeune fille va mourir, tombant dans la cage d’escalier une fois la rambarde d’icelui rompue. Cet événement marque violemment les esprits et fait immédiatement cesser les combats.
Les responsables – directement ou non – sont arrêtés et placés dans une maison de correction qui n’a de correction pas seulement le nom. C’est une sorte de QHS pour adolescents turbulents, où les châtiments corporels sont aussi raffinés que cruels, quoi que la méthode ancestrale de distribution de coups fonctionne aussi très bien…
Un seul rêve alors pour ces jeunes gens : s’évader.
Comme je le disais plus haut, DeMille s’est surpassé et on retrouve dans ce film la fougue et la flamboyance de son Jeanne d’Arc, les yeux bleus de Geraldine Farrar en moins !
La bataille entre les deux camps est extraordinaire : dans un rythme soutenu, nous voyons tous ces ados se f--- sur la g--- avec un enthousiasme incroyable. Un intertitre nous avait prévenus de la ferveur des jeunes : ce n’est pas un mythe.
Au plus fort de la bagarre, on voit Judy défendre, sauver puis brocarder son affiche athée telle une oriflamme : c’est bel et bien Jeanne d’Arc qui repousse les Anglais à la bataille d’Orléans.
Une fois ce morceau de bravoure achevé, nous assistons à l’arrivée des trois jeunes – en plus de Judy, on trouve Bob Hathaway (Tom Keene) et Samuel « Bozo » Johnson (Eddie Quillan) – dans la Maison de redressement. Nous basculons alors dans un univers qui tient plus de la prison que de la réforme (3).
C’est d’ailleurs comme une prison qu’elle est dirigée, avec deux parties distinctes (filles et garçons de chaque côté), séparées par une grille électrifiée. Pas tout le temps, mais au moment le plus propice !
Nous plongeons alors dans le film pénitentiaire avec ses règles strictes et parfois inhumaines (si le SILENCE n’est pas respecté, on peut recevoir autant de jours de réclusion de rab que de mots prononcés), où bien sûr, si les ados ne sont pas de véritables délinquants quand ils entrent, ils le seront à leur sortie (une remarque faite à l’arrivée des deux garçons).
A ce moment, DeMille nous décrit un univers terrible, dirigé par des gens sadiques – Noah Berry (frère de Wallace) chez les garçons et Kate Price chez les filles – frappant, torturant, humiliant (etc.). Sans oublier bien sûr la cellule d’isolement, avec ou sans menottes.
Bref, c’est un enfer qu’ils vivent et l’intrigue en joue avec beaucoup de subtilité pendant l’évasion de Judy et Bob.
Parce qu’ils s’évadent. C’est le seul moment où ils sont tous les deux et dans un rapport de complicité. Et même d’amour, donnant à la séquence une fraîcheur toute naturelle voire bucolique. DeMille en profite pour nous donner un plan général avec Lisa Arquette dénudée, mais ne vous excitez pas, on ne voit pas grand-chose de loin !
Et puis il y a le deuxième morceau de bravoure du film : l’incendie.
Si la bataille initiale avait été spectaculaire, on peut difficilement trouver un terme plus fort que ce que nous voyons pendant cet incendie : dantesque ?
Oui. Infernal irait très bien aussi, cela collerait encore plus avec l’intrigue : cet établissement n’est rien d’autre que l’antichambre de l’Enfer.
C’est donc un final flamboyant dans tous les sens du terme, où nos héros vont trouver la Rédemption, et donc le Salut, mais ceci est une autre histoire.
Au final, DeMille fait ses adieux au cinéma muet de la plus belle des façons. C’est un film d’une très grande maîtrise à tous points de vue.
Il nous livre l’une de ses plus belles œuvres – sinon la plus belle – d’une manière qui frôle le génie (4), utilisant pratiquement toutes les techniques à sa disposition, entouré d’un casting admirable – n’oublions pas Marie Prevost dans le rôle rédempteur de Mame, qui sera elle aussi sauvée, la Rédemption se partageant – ainsi qu’une photo somptueuse de J. Peverell Marley, toujours placé là où il faut, et bien sûr un extraordinaire montage d’Anne Bauchens, autre fidèle collaboratrice de C.B.
A (re)voir sans modération !
PS : Autre titre français usité : Les Damnés du cœur. Quelle horreur !
- Version restaurée et mise en musique par l’un des complices du maître, Monsieur Kevin Brownlow.
- Malgré tout, certains de ses films religieux sont absolument magnifiques : Le Roi des rois en est un magnifique exemple.
- « Reform School » en VO. Je n’ai rien trouvé qui puisse faire penser à une école.
- Cela peut paraître un tantinet trop dithyrambique, mais si vous avez vu le film, vous pouvez me comprendre.