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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Muet, #Drame, #Clarence Brown
Déchéance (The goose Woman - Clarence Brown, 1925)

Marie de Nardi (Louise Dresser était une illustre cantatrice internationale au tournant du siècle (le vingtième), qui arrêta sa carrière pour élever son fils Gérald (Jack Pickford, le frère de).

Mais ça, c’était avant. Maintenant (dans les années 1920s), elle vit seule dans sa ferme où elle s’occupe de ses oies, passant le reste du temps à siroter du gin.

Alors quand elle apprend la mort violente de son voisin Amos Ethridge (Marc McDermott), elle se dit qu’elle pourrait avoir à nouveau son nom en première page des journaux, comme autrefois.

 

Louise Dresser a été oublié du grand public. Il faut dire que sa carrière lui avait surtout fourni des seconds rôles voire un peu moins, mais n’oublions pas qu’elle fut la tsarine Elizabeth dans The Eagle où elle faisait même du gringue à Rudolph Valentino (excusez du peu).

Mais ici, c’est elle qui tient le haut de l’affiche, montrant – enfin – l’étendue de son talent.

C’est elle la gardienne d’oie du titre originale, quant à la déchéance du titre français, elle a déjà eu lieu et on en contemple les effets.

 

Clarence Brown était l’un des plus grands metteurs en scène américains, on ne compte plus les grands films qu’il a pu réaliser, dont celui-ci tient une place particulière.

En effet, Il s’agit d’un film dont l’intrigue se distingue à plus d’un trait des productions de l’époque.

Ici, c’est bien les ravages de l’alcool que nous voyons à travers cette femme oubliée de tous sauf de son fils.

Mais le code de conduite en vigueur à Hollywood (et déjà supervisé par William Hays) empêche de voir cette femme boire de l’alcool directement (1).

Brown nous propose alors deux superbes effets pour illustrer son ivrognerie :

  • alors qu’elle remonte son phonographe pour écouter le dernier disque qui lui reste de sa gloire passée, la main se crispe et se desserre à mesure que la force de l’alcool se dissipe dans sa bouche ;
  • Plus tard, elle se sert un verre et l’absorbe – le dos tourné à la caméra pendant tout ce temps – et seul un tremblement bref nous indique le passage de l’alcool dans son organisme.

 

Mais outre cet aspect alcoolique, le film traite avec brio de la vieillesse d’une star – même si on ne les appelait pas encore comme ça à propos des divas : avec la maternité elle a perdu sa voix et le reproche plus ou moins directement à son fils. Quand ce dernier la visite, elle fait ce qu’il faut pour masquer son vice ; mais si sa tenue lui donne un semblant de dignité, le baiser qu’il lui donne sent trop l’alcool pour qu’il ne le remarque pas ni montre sa déception. S’ensuit bien sûr une nouvelle dispute, les rendant tous les deux encore plus malheureux.

 

Autour de Louise Dresser, Brown a bénéficié d’un casting de luxe. En effet, outre Jack Pickford, on retrouve Constance Bennett dans le rôle d’Hazel, la fiancée de Gerald, et surtout Gustav von Seyffertitz dans celui du procureur qui enquête sur la mort d’Ethridge (2).

Pour une fois, Seyffertitz n’est pas le méchant de l’histoire, mais son rôle n’empêche pas de mauvais moments à Gerald et par conséquent sa mère.

N’oublions pas non plus Spottiswood Aitken (Jacob, le concierge du théâtre où se produit Hazel) ou encore James O. Barrows dans le rôle du policier, rôle par ailleurs peu flatteur (d’où aussi le talent de l’acteur), ce dernier étant un tantinet rustre pour ne pas dire plus.

 

Et puis il y a l’art de Brown qui achève de faire de ce film un GRAND film. En effet, outre le jeu des ombres et lumières, Brown utilise tous les moyens à sa disposition (ou presque) pour accompagner au mieux l’intrigue et ses protagonistes. Un long travelling arrière voit marie avancer vers le lieu du crime, suivie par une de ses oies : le fait que la caméra soit sur un chemin pas spécialement plat donne une impression de titubation (alors que Louise Dresser marche droit !).

C’est aussi un travelling latéral : dans la maison de presse qui part du linotypiste et arrive au journal plié et prêt à vendre,  on suit la vitesse de circulation de l’information.

Enfin, ce sont des plans de coupe très brefs insérés dans l’intrigue et qui rehausse cette dernière, donnant des effets de différentes sortes : les ongles curés de Marie d’où s’échappe une matière noire ; le panneau « exit » qu’un journaliste mal à l’aise aperçoit alors qu’il ne peut échapper à Marie ; ou encore les différentes manies des enquêteurs pendant l’interrogatoire de Gerald (soupçonné à tort), augmentés d’un robinet qui goutte qui rendent la scène encore plus tendue, et ce malgré l’absence de son.

 

Bref, c’est un film admirable et malheureusement toujours actuel : l’alcoolisme n’a pas disparu, et la vieillesse est inévitable. Et Louise Dresser, dans ce rôle qui l’enlaidit (pour mieux la retrouver belle à la fin du film, est très certainement l’un de ses plus beaux.

De plus, la vieillesse et parfois aussi la déchéance ne sont pas des thèmes très répandus, même dans les films actuels où les codes de conduite se sont un tantinet relâchés.

 

 

PS : C’est avant tout à monsieur Kevin Brownlow que je dois la découverte de ce film dont il parle dans son ouvrage – indispensable si comme moi vous aimez le cinéma muet – Behind the Mask of innocence (1990).

Qu’il en soit remercié du fond du cœur.

 

  1. Par contre, qu’elle absorbe l’alcool à 60° (!) qui est utilisé pour le soin des cheveux ne pose pas de problème : face à la caméra, elle s’en envoie une lampée directement au goulot !
  2. Ethridge est donc interprété par Marc McDermott qui tient un rôle habituel (?) : encore une fois, il meurt avant la fin.
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