Une jeune femme (Edna Purviance).
Un artiste (Henry Bergman).
Un serveur (Eric Campbell).
Un immigrant barbu et malade (Albert Austin).
Et au milieu de tout ce beau (?) monde : un immigrant à moustache, chapeau melon et canne (Charles Chaplin).
Chaplin, pour son avant-dernier film pour la Mutual (son âge d’or d’après son autobiographie), nous propose une réalité toute actuelle dans cette Amérique des années 1910 : l’arrivée des immigrants à New York. Nous ne verrons pas le passage à Ellis Island, le carrefour incontournable, car le format du film (court, un peu plus de 25 minutes) ne permet pas de s’appesantir sur les formalités administratives (par ailleurs peut-être une source de comique limitée), mais nous avons tout de même droit à la Statue de la Liberté, seul vrai symbole pour ces voyageurs fatigués par une grande traversée passée la majeure partie sur le pont. Nous avons d’ailleurs quelques éléments de cette traversée : les repas sur une mer agitée, les différentes occupations des voyageurs (le jeu, le repos et les allers-retours vers le bastingage, sans oublier l’incontournable mal de mer inhérent à ce genre d’équipée. C’est d’ailleurs là-dessus que commence le film, nous montrant les candidats à l’immigration rassemblés pêle-mêle, attendant que le voyage se termine.
Mais alors que le film pourrait être un documentaire (bien sûr, Chaplin n’avait pas cette intention), l’apparition d’une figure familière – le Vagabond – remet en cause cette première impression, créant de suite un décalage : nous sommes bien chez Chaplin, et ce que nous allons voir est peut-être un sujet un peu grave, mais nous allons tout de même rire.
Et cent (un) ans après, ça fonctionne toujours.
On reconnaît l’équipe habituelle : les acteurs cités plus haut, plus d’autres habitués (John Rand, Tiny Sandford…), dans des rôles multiples, sauf, comme d’habitude, Edna Purviance* (toujours aussi belle...).
Après le voyage, qui fait se séparer les voyageurs, livrés à eux-mêmes dans un pays certes libre, mais tout de même onéreux, nous assistons aux retrouvailles** de la jeune femme et du vagabond, dans un restaurant où sert l’incontournable (de fait) Eric Campbell.
Eric Campbell était lui aussi un habitué des films de Chaplin. Et même s’il participa à onze d’entre eux, c’est ce serveur qui nous vient à l’idée quand nous évoquons cet acteur. Il s’agit ici de son avant-dernier film avec le Maître : il mourra le 20 décembre de cette même année 1917, dans un accident de voiture qu’il provoqua, alors qu’il revenait d’une soirée beaucoup trop arrosée.
Quel gâchis.
Il faut tout de même dire que son personnage de serveur sévère est magnifique : une carrure d’athlète (du genre haltérophile plus que coureur à pied), des sourcils fournis et en pointe, et une paire de mâchoires propices à détecter les fausses pièces de monnaie. Et en prime, une poigne de fer qui sait autant saisir que frapper, comme en fait l’expérience un client à qui il manquait 10 cents (John Rand).
Et puis il y a le déclencheur, celui qui permet aux deux amoureux d’espérer un avenir meilleur : l’artiste peintre qui va les engager (Henry Bergman).
Nos héros sont donc sauvés. Mais pour combien de temps ?
Cela nous amène à une fin mi-figue, mi-raisin, cela dépend de votre humeur ou de votre appréciation de la situation.
Une fin heureuse ? Si vous me lisez depuis longtemps, vous connaissez ma réponse. Et même si une averse*** éclate et se déchaîne, je n’y crois pas.
* Quand le vagabond l'embrasse, est-ce sur la bouche ?
** Une rencontre pleine d’émotion où un simple mouchoir à liseré remplace un intertitre : du cinéma muet, du vrai !
*** (attention Spoiler) Mariage pluvieux...