C’est un homme (George Beban) qui lit un livre, dans son salon, au coin du feu. Ce livre, c’est The Italian.
C’est alors que commence réellement le film, racontant l’histoire de Beppo Donnetti, et bien sûr, par identification, le lecteur devient Beppo.
Beppo est un gondolier, dans une Italie traditionnelle où le soleil brille, les moines prient et les hommes font les vendanges.
Beppo est amoureux d’Annette (Clara Williams), mais elle est aussi courtisée par un vieux barbon – Gallia, le tailleur. Le père d’Annette accepte que sa fille épouse Beppo à la condition qu’il lui ait trouvé un toit avant un an.
Beppo part aux Etats-Unis, y débarque après avoir passé l’inévitable Statue de la Liberté qui annonce la fin du voyage. Et dans le temps imparti, Annette reçoit de l’argent pour effectuer la traversée de l’Atlantique et rejoindre son fiancé.
George Beban est un acteur aujourd’hui oublié, mais était tout de même un très bon acteur, et comme le dit Kevin Brownlow : il a beaucoup fait pour l'image des Italiens en Amérique (1).
Son personnage de Beppo est un Italien tout à fait moyen. Il n’est pas un paysan inculte, ni un érudit. Bien sûr, c’est un homme de tempérament et les bonnes nouvelles sont toujours exprimées de façon extrême, mais c’est logique. Il n’y a nulle moquerie dans le jeu de Beban, de l’exaltation certes, mais aussi de la subtilité, et surtout beaucoup d’émotion.
Beppo est d’abord un bon vivant, qui charme les femmes de sa voix de velours.
Mais une fois en Amérique, il doit survivre et surtout assurer un toit pour sa promise.
Après une première partie qui nous expose la situation, arrive le premier élément du destin : le vieux Gallia qui précipite le départ de Beppo.
Suit ensuite les débuts de ce dernier dans le Lower East Side de New York, où les habitants sont un magnifique exemple de melting-pot : Beppo va fêter la naissance de son fils avec un voisin juif, et il invite tous ceux qui sont présents à célébrer la naissance.
Bref, c’est une communauté où les gens se connaissent et s’entraident.
Arrive alors le deuxième coup du destin. Si le premier a amené une situation heureuse – Beppo a réussi à se marier avec la belle Annette – le second est beaucoup plus terrible : une vague de canicule va amener un très grand malheur sur les Donnetti, et leur fils âgé de quelques mois va mourir.
Ce qui est le plus étonnant (et réjouissant), c’est la qualité cinématographique du film.
En effet, alors que les géants du muet (Chaplin, Griffith, Brown, Keaton…) sont toujours loués (à juste raison) pour leur apport au cinéma, nous découvrons ici Reginald Barker, un réalisateur obscur qui travaillait dans l’ombre de l’immense Thomas H. Ince (2).
Et ce que l’on peut dire, c’est que le film possède une valeur technique assez admirable, sachant que nous sommes en 1915.
En effet, ce sont des fondus enchaînés ou au noir qui amènent des souvenirs ou font la transition vers une autre péripétie ; des gros plans – voire très gros plans – du visage de Beppo quand le malheur le frappe ; des travellings latéraux ou arrières pour suivre la course de Beppo (la caméra est sur une voiture et filme l’Italien qui s’agrippe à une autre voiture avant d’en être éjecté par le pied du « Boss » du quartier pauvre (Leo Willis) ; et même un cadrage à travers le trou de la serrure qui nous montre ce qu’il se passe chez Beppo après la naissance.
Bref, c’est du très bel ouvrage, mais on était en droit d’attendre cela d’un film qui vient de chez Ince.
Et en plus d’être un très bon film, Reginald Barker (et Ince, faut-il le rappeler) nous dresse un tableau tout à fait réaliste de la vie dans le Lower East Side de New York (3). Je rejoins Brownlow encore une fois quand il dit que les formalités pour entrer aux USA sont escamotées : on assiste directement de la descente du bateau à la vie dans les rues de la mégalopole. Mais comme ça n’a pas une grande incidence sur le film, passons (4).
Reste un film superbement restauré par la Library of Congress avec une nouvelle musique d’accompagnement signée (et interprétée) par Ben Model, pianiste spécialiste du cinéma muet.
A (re)découvrir !
- cf. Behind the Mask of innocence (London: Jonathan Cape, 1990 – Chap. X, The Foreigners)
- C’est d’ailleurs lui qui signe, avec C. Gardner Sullivan, le scénario (et qui a bien sûr supervisé la création du film) : le livre lu par l’homme de l’introduction est d’ailleurs signé par leurs deux noms.
- Même si la plupart des prises ont été faites à Venise. Venise certes, mais dans celle de Los Angeles…
- Je vous renvoie à My Boy, où Jackie Coogan eut une drôle de façon de passer à travers les contrôles d’Ellis Island.