Décidément, les spectateurs n’ont qu’à peine le temps de se remettre de la sortie de Vaudou que déjà Tourneur récidive : en moins de six mois, ce sont trois films de ce réalisateur qui sont présentés coup sur coup, et ce dernier à peine plus d’un mois après le précédent (1). Et encore une fois, il faut avoir les nerfs solides pour aller contempler cette nouvelle intrigue qui les met à rude épreuve.
Kiki Walker (Jean Brooks), danseuse, et Jerry Manning (Dennis O’Keefe), son manager, ont été embauchés dans le cabaret d’une petite ville du Nouveau-Mexique. Afin qu’on parle d’elle, Jerry imagine un formidable coup de publicité : il loue un léopard à Charlie How-Come (Abner Biberman), un artiste ambulant qui présente un numéro d’homme-léopard (2). Malheureusement, l’animal, apeuré par la foule et le bruit, s’échappe et sème la terreur dans la petite ville.
C’est d’abord la jeune Teresa (Margaret Landry) qui est tuée sur le pas de sa porte, alors qu’elle tentait d’échapper au fauve. Une battue s’organise mais malgré cela, deux autres femmes sont à nouveau tuées.
Et le léopard reste toujours introuvable…
Tourné trois mois et demi après le film précédent, le film souffre peut-être de cette rapidité de travail, mais il n’en demeure pas moins un film fort dans la liste der ceux de son réalisateur. Il faut dire que son équipe a peu été modifiée, ce qui permet tout de même une meilleure efficacité. Et cette fois, c’est James Bell (Dr. Galbraith) qui se retrouve à nouveau dans l’interprétation, lui qui fut déjà un autre docteur dans Vaudou (Dr. Maxwell). Seul changement notable, la présence de Robert de Grasse (frère de Joseph et neveu de Sam) en lieu et place de J. Roy Hunt, derrière la caméra. Et c’est peut-être aussi ce qui fait la différence avec le film précédent : certes Tourneur joue avec l’éclairage, mais il manque un petit quelque chose pour le hisser au niveau de ces prédécesseurs.
Quoi qu’il en soit, on frissonne à nouveau, de peur et de plaisir face à ce monstre – animal, humain, ou les deux ? – qui terrorise cette petite ville sans histoire. Et encore une fois, Tourneur joue sur la superstition locale, ainsi que sur un passé tragique. Dans Vaudou, c’était le passé négrier de l’île qui était (plus qu’) évoqué, ici, c’est l’annihilation du village originel qui est évoqué à travers une commémoration annuelle qui n’est pas sans rappeler les processions espagnoles avec personnages encagoulés.
A nouveau, Tourneur fait référence à l’idée de l’étranger – « alien », disent-ils là-bas – comme ce fut le cas avec La Féline (Irena était serbe) et Vaudou (la famille Rand-Holland était colonisatrice). Pas étonnant de la part d’un réalisateur partagé entre le pays qui l’a vu naître ainsi que sa famille, et le pays qui l’a accueilli et lui a permis d’exercer son art : il est lui-même une sorte d’étranger à Hollywood.
Mais pour le reste, le spectacle est au rendez-vous, et si la caméra de De Grasse n’est pas autant au rendez-vous que dans les deux films précédents – encore que – c’est la musique de Roy Webb qui fait tout, le sel du film. Et surtout son absence qui est – à chaque fois – synonyme funeste : en effet, pour chaque nouvelle victime, la musique s’efface pour nous permettre d’appréhender « encore plus le sentiment d’effroi de la (future) victime : un silence de plus en plus inquiétant que certains bruits habituellement considérés comme naturels, deviennent synonyme d’angoisse et de malheur.
Et ça ne rate pas ! Même la dernière victime – celle qui permet (ou qui suit) la résolution de l’intrigue – est emportée alors que la vie continue pour le reste du monde et que la procession s’engage vers son but, le tout sans accord ajouté : la musique ne revient que progressivement une fois que la dernière réplique est prononcée et que la fin s’affiche.
Magistral. (3)
- Vaudou est sorti le 8 avril alors que L’Homme léopard est présenté le 19 mai.
- D’où le titre. Mais pas que.
- Quand même !