Les sœurs Madeleine, ce sont celles qu’on nommait « filles perdues » : elles avaient fauté avant le mariage. Toutes ces (parfois très) jeunes femmes se trouvent ici pour des raisons diverses mais ayant toutes, de près ou de loin un rapport avec le sexe.
Rose (Dorothy Duffy) parce qu’elle a mis au monde un joli petit bébé, un jour de 1963. Margaret (Anne-Marie Duff) parce qu’elle a été violée par son cousin. Et Bernadette (Nora-Jane Doone parce qu’elle répondait aux garçons qui matent les filles de l’orphelinat.
Elles arrivent toutes les trois en même temps, et se retrouvent sous la férule de sœur Bridget (Geraldine « Miss Marple » McEwan), qui les envoie travailler avec les autres « pauvres filles », laver, rincer, sécher et repasser le linge.
C’est donc un bagne moderne, à l’abri des regards, où on rappelle sans cesse à toutes ces femmes leur faute originelle et leur obligation d’expier. Eternellement.
J’oubliais : nous sommes en Irlande et la révolution sexuelle n’est pas près d’arriver…
C’est pendant presque 240 ans que ce genre d’institution – essentiellement catholique – a prospéré un peu partout dans le monde (surtout anglophone), et pus de 30.000 femmes qui y ont vécu, et dont certaines n’ont pas survécu. Parmi ces dernières, la présence depuis plusieurs décennies était le meilleur garant de leur fidélité : s’enfuir ? Pour aller où ?
Et ce que montre Peter Mullan, c’est un univers qui n’est pas sans rappeler la prison : des femmes sont des prisonnières et en plus, elles n’ont même pas la possibilité d’une visite : de toute façon, il n’y a pas de parloir. Pour en sortir, trois possibilités : mourir, entrer dans les ordres, ou s’évader. Mais il en existe une autre que je vous laisserai découvrir…
Bien évidemment, lors de la projection à Venise (pendant la Mostra), le Vatican n’a pas beaucoup apprécié (tiens, tiens…), jugeant ce film anticlérical. Mais pas besoin de faire dans l’anticléricalisme pour comprendre que ces religieuses ne le sont pas toujours. Quant au curé, on ne peut que donner raison à la malheureuse Crispina (Eileen Walsh).Parce que si ces jeunes femmes ont toutes le même dénominateur commun, cet « homme de Dieu » a tendance à en abuser… Comme quoi, rien de nouveau.
Toujours est-il que Mullan signe ici un film choc sur ces drôles de blanchisseries : on y lave le linge sale, mais on n’en ressort pas propre pour autant, et encore moins en odeur de sainteté. Et cet enfer carcéral est véritablement plombé par la religion omniprésente, de la prière matinale aux actions de grâces prandiales, en passant par les lectures dans le réfectoire à chaque repas. Sans oublier la rédemption qui permet à certaines femmes – les religieuses – de maintenir d’autres femmes – les victimes « emprisonnées » – sous leur joug, avec en prime des sévices physiques.
Non seulement le film de Mullan a ouvert certains yeux sur cette abomination (1), mais il va encore falloir attendre sept ans pour que les autorités britanniques rendent un rapport de la situation (partielle, toutes les maisons n’ont pas été étudiées) !
Là encore, l’interprétation joue un grand rôle dans la qualité du film : normal, Mullan est avant tout un acteur, alors il ne peut qu’être un réalisateur généreux avec ses interprètes.
Et son trio de premier plan est d’une grande justesse. Toutes les trois sont des pensionnaires convaincantes, chacune dans son malheur et, dirais-je, son injustice. Injustice pour Rose qui perd son prénom à la suite de son enfant (adopté), injustice pour Margaret qui a été violée, et injustice pour Bernadette, beaucoup trop jolie pour être honnête, bien sûr.
Avec en prime Anne-Marie Duff qui est la plus âgée des trois mais interprète semble-t-il la plus jeune !
Et n’oublions pas les nonnes, Geraldine McEwan (bien loin de Miss Marple !) en tête, dont les agissements sont d’une ignominie grave. Là encore, le principe hitchcockien est appliqué : les méchantes le sont vraiment, et on a plaisir à les haïr.
A voir, rien que pour prendre conscience de la vie de ces pauvres femmes.
- Les miens entre autres, et ceux qui n’ont vu que le film : le documentaire (Sex in a cold Climate, 1998) a inspiré Mullan pour son scénario.