L’Ouest américain, encore en quête de Civilisation.
Nous sommes dans une toute petite ville du Nevada, en 1885.
Deux étrangers arrivent : Gil Carter (Henry Fonda) et Art Croft (Harry Morgan). Gil est venu retrouver sa fiancée Rose Mapen (Mary Beth Hughes), mais cette dernière est partie.
Puis survient l’incident du titre : Larry Kincaid a été tué d’une balle dans la tête, son troupeau volé. Bref, les citoyens – bien intentionnés comme toujours dans ces cas-là, décident d’organiser une brigade pour retrouver le(s) meurtriers.
Et ils les trouvent. Mais sont-ils les vrais coupables ?
William Wellman nous propose ici un western aussi étrange que l’incident dont nous parle le titre français. Tout y est, ou presque : chevauchée dans des décors sauvages ; échanges de coups de feu ; attaque fortuite d’une diligence ; repas au coin du feu ; et bien entendu l’indispensable lynchage, qui donne toute sa dimension à cet « incident ».
Car cet incident est un lynchage, une de ces particularités américaine (1) qui se termine, la plupart du temps dans les westerns par une pendaison. Ici c’en sont trois de prévues, une pour chaque homme appréhendé et prestement jugé.
La brigade, qui a prêté serment – un tantinet illégalement – est composée de 27 personnes, dont une femme, Ma Grier (Jane Darwell), qui si elle d’un autre sexe que la meute n’est pas la dernière pour accomplir le lynchage.
Autre élément de ce lynchage, la présence de Tetley (Frank Conroy), un ancien major confédéré, étonnamment installé dans une grande maison à colonnes bien loin de son Sud natal (2).
Encore une fois, on retrouve Henry Fonda dans une histoire où il voudrait interrompre un lynchage. Mais cette fois-ci, il n’a pas l’éloquence d’Abraham Lincoln (3), mais surtout, la vingtaine de partisan de la pendaison sont un peu trop nombreux à arrêter, et surtout beaucoup trop passionnés pour entendre quoi que ce soit.
Parce que ces hommes sont passionnés. Ils en sont même furieux. Un des leurs a été tué, alors les raccourcis pointent : les trois hommes rencontrés – Donald Martin (Dana Andrews) ; Juan Ramirez (Anthony Quinn) et Alva « Dad » Hardwick (Francis Ford) – sont des coupables tout trouvés : ils ont une partie des bêtes de Kincaid et le Mexicain possède son arme.
On a alors une longue séquence pendant laquelle Martin va tenter de se justifier, soutenu par une partie de la meute – ils sont 7 (chiffre symbolique s’il en est) – dont Arthur Davis (Harry Davenport), véritable voix de la raison que trop peu écoutent.
Il est à remarquer aussi que durant toute cette partie – de la découverte des trois hommes jusqu’au mot fin – on n’entend plus la musique, une variation sur Red River Valley (4).
En effet, en supprimant la musique, Wellman renonce aux accents émouvants qu’elle peut susciter. On n’entend les paroles, les déplacements, et éventuellement le craquement du feu.
Ce sont des détails qui, nous le savons bien, prennent une autre dimension pour ceux qui vivent cet instant. Car c’est un événement (plus qu’un incident) que beaucoup regretteront, voire avec lequel ils ne pourront vivre.
Les trois hommes sont pendus. C’est un fait. Mais leur mort prend toute sa dimension dans leur ombre (c’est l’aube) sur le sol, une ombre agrandie du fait du niveau bas du soleil. Et malgré l’absence de musique, on est ému de ce qu’il vient de se passer, aussi rapidement, aussi froidement. Comble de l’horreur, l’un d’eux ne meurt pas tout de suite et doit être achevé à coup de fusil. Terrible.
Bien sûr, ces trois hommes sont innocents. Mais c’est (comme toujours dans ces cas-là) quand il sera trop tard que la vérité éclatera. Pas pour les spectateurs qui ont pris – normalement – fait et cause pour ces trois pauvres hommes (5), mais pour les autres, le regard perdu au-dessus de leur verre d’alcool, pendant que les « justes » assument leurs responsabilités.
Une fois le mot fin effacé, un encart encourage les spectateurs à acheter – dans la salle – des Bons de la Défense.
Chose étonnante, cet appel donne une autre dimension à ce western, le plongeant dans une réalité assez meurtrière où des innocents sont exécutés sans autre forme de procès, bien loin là-bas, dans l’Europe nazie…
Mais même s’il n’y a pas de parallèle à établir, ce film garde, 75 ans après toute se force : qu’elle soit dans la condamnation de « l’incident » qu’elle dénonce, ou dans l’émotion qu’elle suscite devant une telle pratique bien loin de la Civilisation que ces hommes pensent représenter (qu’ils soient dans le film, ou à la même époque – 1943- en Europe.
- Mais on trouve la même chose ailleurs, sous un autre nom : « justice populaire », « vengeance »…
- A-t-il dû quitter le Sud, une vingtaine d’années plus tôt ?
- Young Mr. Lincoln (John Ford, 1939), dont Lamar Trotti a aussi écrit le scénario.
- Musique aussi utilisée par John Ford dans Grapes of Wrath (1940) qui réunissait déjà Henry Fonda et Jane Darwell, dans un autre film traitant de l’injustice.
- Henry Fonda étant de leur côté, les spectateurs ne peuvent que suivre sa décision, même si elle ne pèse pas grand-chose dans le destin final des trois accusés.