Shanghaï, 192…
C’est une ville internationale qui accueille tout le monde, de tous les continents, sans trop poser de questions. On y trouve le « docteur » Omar (Victor Mature, tout comme le respectable Lord Charteris (Walter Huston), ou encore la jeune artiste Dixie Pomeroy (Phyllis Brooks). Et bien sûr l’autre jeune femme, Poppy Smith (Gene Tierney), qui n’est autre que la fille de Lord Charteris : élevée dans la soie (1), elle n’en fait qu’à sa tête, dépensant sans compter l’argent de son père, dans le jeu et le plaisir.
Et tout ce petit monde se retrouve au nouvel an (chinois) chez Mother Gin Sling (Ona « Belle » Munson), qui dirige le casino le plus fréquenté de la ville, mais qui a tendance aussi à diriger les gens qu’elle invite. Même Charteris qui semble nouvellement arrivé.
A nouveau, et pour son dernier film personnel (2), Josef von Sternberg nous propose une galerie de solitaires qui vont, comme disait Melville, se retrouver dans le cercle rouge : entre Omar, ce curieux docteur apatride qu’on ne voit soigner personne, Dixie qui erre de revue en revue pour échouer ici, en passant par Charteris qui n’a pas su lier de relation avec sa fille, et bien sûr cette dernière qui vit une fuite en avant continuelle, nous sommes servis. Et bien entendu, l’issue ne peut qu’être fatale pour l’un ou l’une si ce n’est plusieurs d’entre eux.
Surtout avec cette inquiétante et superbe Mother Gin Sling, qui offre à Ona Munson un rôle inoubliable, dû en partie aussi à ses différentes coiffures toute plus incroyables les unes que les autres. Et ce malgré son maquillage un tantinet exagéré qui laisse voir quelques défauts (3).
Il n’empêche, Sternberg réussit ici son dernier film, même si ce n’est pas son plus important, grâce à son talent bien sûr, mais aussi à ses interprètes : si Ona Munson est magnifique, on ne peut négliger la partie de Gene Tierney (tout juste 21 ans quand le film sort) dans un rôle qu’on ne lui reverra pas de jeune fille gâtée (et même pourrie) : elle est bien loin des jeunes femmes « pures » qu’elle interprètera après. Il est clair qu’on attendrait presque que Charteris lui envoie une gifle tant elle est désagréable. Mais elle est surtout le jeu de Mother Gin Sling, véritable personnage central du film. Central et tout de même maléfique : si Poppy (en fait elle s’appelle Victoria : serait-elle née en 1901 ?) plonge, c’est surtout à cause de cette tenancière qui semble faire la pluie et le beau temps sur la ville.
Mais on notera une similitude tout de même dans la résolution du film, un apparentement avec West of Zanzibar treize ans plus tôt (4).
Encore une fois, on peut regretter l’utilisation d’acteurs blancs pour jouer les rôles significatifs d’Asiatiques : les rares interprètes d’origine extrême-orientale n’ont pas de dialogue à réciter, et on peut même se désoler de la présence de Maria Ouspenskaya qui n’a pas un mot à dire (son accent russe était à éviter dans un tel film !) de tout le film, hochant la tête ou se contentant de gestes autoritaires qui définissent son personnage.
Toutefois, on notera un intertitre dans le générique qui va rendre hommage aux figurants – essentiellement les seuls asiatiques du film : il ne sont là que pour créer une atmosphère, donner un semblant d’authenticité.
Reste un beau film, avec des interprètes au niveau, mais une question demeure une fois que le film se ferme sur la roulette qui résume bien la situation (« rien ne va plus » répète Dalio à chaque apparition : c’est lui le meneur de jeu à la roulette) : de quel geste parle le titre original ? Celui, final, de Mother Gin Sling ?
- Ou comme ils disent : « avec une cuiller en argent dans la bouche ».
- Il ne terminera pas les deux suivants.
- C’est toujours comme ça, une fois qu’on l’a vu, on en peut plus l’ignorer.
- Evidemment, je vous laisse le découvrir…