Un homme seul avance dans la neige.
Il erre.
Il boite.
Il a froid.
Il crie.
Il porte une hache.
C'est Jack Torrance (Jack Nicholson). Un ancien prof. Un écrivaillon.
C'est le gardien d'hiver de l'hôtel Overlook.
L'hôtel Overlook est ouvert six mois dans l'année : aux beaux jours exclusivement : de mai à octobre. Jack a été rengagé pour s'occuper du bâtiment pendant les autres mois, pour l'entretien général, histoire de ne pas avoir de mauvaises surprises à la réouverture.
Il s'installe avec sa femme Wendy (Shelley Duvall) et son fils Danny (Danny Lloyd). Et tant que la neige ne montre pas le bout de son nez, tout se passe bien. Sauf que.
Sauf que Danny possède un don particulier : le shining. Cela lui permet de voir le passé, mais aussi le futur. Mais sans explication. Alors se retrouver dans un hôtel où ils ne vivent qu'à trois et croiser, au détour d'un couloir deux petites filles qui l'invitent à jouer, évidemment, ça a de quoi inquiéter.
Et quand la neige arrive, la situation se dégrade vite : l'état mental de Jack se détériore rapidement, et des drôles de phénomènes se produisent... Car c'est avec l'arrivée de la neige que la folie se déclare.
Absolument brillant.
Trois ans après la fresque en costumes Barry Lyndon, Kubrick se remet à tourner. Après avoir tâté différents genres - film de gangsters avec L'ultime Razzia, péplum avec Spartacus, film de guerre avec Les Sentiers de la gloire, anticipation avec 2001, l'Odyssée de l'espace et Orange mécanique - Kubrick nous fait son film d'épouvante, plus un film d'atmosphère d'ailleurs.
C'est un film complet, au rythme lent mais inexorable qui nous amène à une conclusion (presque) prévisible. Parce que la fin n'est pas tout. Ce qui est important, c'est d'y arriver.
Alors Kubrick prend son temps et joue avec. La première séquence se situe en été, et Jack est embauché. Puis, nous nous retrouvons le jour de la fermeture, seule date à peu près définie (Octobre ? Novembre ?). Puis, nouvelle indication temporelle : « un mois plus tard ». Ensuite, se suivent des jours de la semaine, non consécutifs jusqu'au dernier intertitre : « 16 heures ». Mais si le temps de la narration s'accélère, le film, lui garde ce même rythme faussement lent. Le montage est parfait. Chaque changement de plan est pertinent.
La caméra est extrêmement importante. Toujours, me direz-vous. Mais ici, encore plus qu'ailleurs. Les plans sont incroyables, voire impossibles. On voit les visages des acteurs selon des angles inhabituels (un peu moins maintenant, le film a fait des émules...) : des contre-plongées inquiétantes quand Wendy lit la prose de Jack ; quand Jack est enfermé dans la réserve... Et puis il y a les travellings : avant quand Danny pédale à travers les longs couloirs de l'hôtel, arrière quand Jack poursuit son fils dans le labyrinthe. Parce qu'en plus, il y a un labyrinthe. On le voit deux fois : aux beaux jours, un après-midi, quand tout va bien, Wendy et Danny s'amusent à s'y perdre pendant que Jack écrit ; à la fin, la nuit, quand Danny essaie d'échapper à son père.
Ce labyrinthe n'est pas seulement une curiosité pour les clients de l'hôtel ; on peut imaginer qu'il représente les méandres de l'esprit dérangé de Jack. Et Jack s'y perdra, comme il a perdu la raison dans un recoin de son cerveau. Mais tout compte fait, il avait dit à son fils qu'il voudrait y rester pour toujours, alors...
Nous sommes dans un lieu hanté. Hanté par la folie de Jack, mais aussi par des phénomènes et des gens : les jumelles dans le couloir, la femme de la chambre 237, une balle de base-ball, une chambre ouverte (la 237, tiens, tiens...). Bref du surnaturel pas si incroyable. Juste un peu décalé. Juste assez pour nous faire frissonner. Et les musiques retenues collent parfaitement à l'atmosphère du film. A tel point qu'à un moment, on peut se demander si elles accompagnent l'action ou si elles en sont parties prenantes.
Les acteurs, enfin, sont formidables. Jack Nicholson est - on le savait déjà - un fou magnifique. Il passe rapidement d'un regard normal à celui d'un déséquilibré avec beaucoup de naturel. Son premier « dérangement » le voit la tête baissée, mais le regard vers le haut : un regard de folie maintes fois utilisé par Kubrick dans ses films, et surtout repris dans le suivant (Full metal Jacket) avec le personnage de Whale.
Shelley Duvall, elle aussi, est extraordinaire. Il est clair que le tournage fut éprouvant pour elle, et sa performance n'en est que plus belle. Elle campe une Wendy terrible et terrifiée plus que vraisemblable. Son physique particulier étant un atout supplémentaire pour son rôle.
Danny Lloyd, enfin, avait six ans au début du tournage et n'a vu le film que presque 10 ans après. On comprend pourquoi : il ne savait pas que le film faisait peur pendant le tournage. Là encore, quelle performance !
La fin nous laisse sur une énigme. La photo du bal du 4 juillet 1921. Pour ma part, je pense que cette énigme est aussi sa solution : il faut revenir dans le passé, revenir avant.
Avant.
Avant dans le film, avant dans l'histoire de la construction de l'hôtel...
Et peut-être qu'on y trouve la réponse.
A vous de vous faire un idée.
Conclusion :
Un film qui, en plus, se bonifie à chaque visionnage : il y a toujours quelque chose à y (re)découvrir.