Melquiades Estrada (Julio Cesar Cedillo) est l’homme du titre original, celui qu’on va enterrer trois fois : la première en évitant une enquête autour de sa mort (on enterre le dossier) ; la seconde officielle, organisée par la police en charge de ce dossier ; la troisième par Mike Norton (Barry Pepper), là où il avait demandé à son ami Pete Perkins (Tommy Lee Jones) de le ramener s’il lui arrivait malheur.
S’il y a trois enterrements, on ne peut pas vraiment dire qu’il y a trois parties. En effet, les deux premiers nous permettent de savoir ce qu’il s’est passé : pourquoi et comment Melquiades Estrada est mort, tué par un garde-frontière (Norton) près du Mexique.
C’est un western singulier que signe ici Tommy Lee Jones, pour son premier long métrage de cinéma. C’est un western moderne où les grands espaces prennent autant de place que l’intrigue et où affleure une idée de vengeance : celle d’un ami pour un autre ami mort, alors que les autorités ont décidé de fermer les yeux sur ce qu’il s’est réellement passé.
Et la première impression que l’on ressent, c’est un certain désordre dans la narration : le passé – l’arrivée de Melquiades, ses activités et son amitié avec Perkins – et le présent – la détresse de Pete, sa colère sourde contre le shérif (Dwight Yoakam) qui refuse d’enquêter sous la pression (molle) du chef des gardes-frontières (Mel Rodriguez) ou le tiraillement que vit Norton suite à cette mort accidentelle dont il est malgré tout responsable. Tout cela se mêle et on comprend alors que ces incursions du passé, on les doit à Pete qui revit ces moments révolus qui lui reviennent comme tous les souvenirs : en désordre.
Mais c’est bien sûr Le Voyage (troisième intertitre) qui occupe la plus grande place du film, faisant basculer celui-ci dans le road-movie, avec en ligne de mire l’enterrement définitif du Mexicain, et aussi la résolution de la vengeance annoncée. Et Tommy Lee Jones prend son temps pour raconter cette drôle d’histoire d’amitié entre un cow-boy texan (Perkins) et un immigré clandestin. Parce que la frontière est tout de même le nœud du problème : cet accident n’aurait pu arriver ailleurs. Entre un clandestin qui craint les descentes de la police des frontières et un garde un tantinet trop zélé, le résultat n’est somme toute pas si étonnant. Malheureux certes, mais certainement pas étonnant.
Alors quand Perkins emmène son prisonnier vers la destination finale de Melquiades, Jones nous montre qu’il a très bien compris comment on fait un film. Et comme Jones est d’abord un acteur, on y retrouve la générosité habituelle de ceux qui se sont décidés à passer de l’autre côté : Jones est impérial, cela va de soi, mais on ne saurait ignorer la très belle prestation de Barry Pepper, dans le rôle de ce jeune homme qui va tout perdre d’un coup, à cause de ce qu’on pourrait appeler une bavure. Il va passer par tous les stades : la peur tout d’abord face à ce curieux cow-boy qui le menace d’un pistolet qui n’a rien à voir avec les revolvers habituels (1) ; l’espoir quand il réussit à échapper à la vigilance de son gardien ; le désespoir quand il est forcé de revenir vers lui ; la résignation qui s’ensuit ; et l’angoisse de la mort qui l’attend au bout du chemin.
Bref, c’est un très beau western qui nous est proposé là, et si nous n’assistons pas à un duel final (au soleil), on ne passe pas à côté malgré tout du sentiment de justice rendue, avec en prime le justicier (Perkins) qui s’en va ailleurs, son rôle accompli. Et pas besoin de soleil couchant.
Et n’oublions pas la dimension road-movie : les deux personnages vont évoluer à mesure que le voyage se déroule, avec à l’arrivée une espèce de métamorphose pour l’un et de révélation pour l’autre (2) : chacun des deux a changé et ne sera plus pareil.
Et en plus, Melquiades est bel et bien enterré.
- Ce n’est donc pas un « six-coups ».
- Vous trouverez de qui je veux parler pour les deux possibilités.