Alithea (Tilda Swinton) est narratologue depuis de nombreuses : elle étudie spécialement les contes, qu’ils soient de fées, des Mille et une Nuits ou d’ailleurs. En déplacement à Istanbul pour une conférence, elle achète un flacon rayé qui semble l’interpeller.
Et ce flacon renferme un occupant fort singulier : un djinn (Idris Elba).
Et comme toujours dans ces cas-là, il lui propose trois vœux, faute de quoi, il retournera inévitablement dans sa prison, jusqu’à une prochaine tentative…
Bien entendu, trois vœux à exaucer, c’(est très tentant. Mais quand on est une spécialiste des contes, la circonspection est de mise.
S’ensuit alors un drôle de huis clos, entrecoupé de l’histoire de ce djinn, commencée voilà près de trois mille ans…
George Miller est un cinéaste à part, dans la su(pe)r production cinématographique. En effet, en quarante-cinq ans d’activités, il n’a réalisé que 11 longs métrages (1), dominés par sa saga fétiche (?), Mad Max (cinq films !).
Déjà à la fin des années 1990 et dans la décennie suivante (et même 2011), on le découvrait dans des films animaliers fort éloignés de la violence déchaînée du monde de Max Rockatansky). Et entre les deux derniers opus de cette saga, il nous propose encore une perle à contre-courant de ses habitudes. On imagine très bien John Cleese dans le Monty Python ‘s Flying Circus présenter le film lors de la première comme il l’a fait de nombreuses fois dans l’émission (culte) : « Et maintenant quelque chose de complètement différent. » (2)
Nous voici donc plongé dans un univers duel, celui de la réalité et celui du merveilleux mais avec un lien tangible quoique fort discutable en tant que tel : le djinn. En effet, c’est le personnage qu’on qualifie d’office d’imaginaire qui va relier son monde à celui d’Alithea (le nôtre, quoi) pour arriver à ses fins : sa libération.
Et quel monde. Miller nous plonge totalement dans l’univers de ce qui ressemble aux Mille et une Nuits avec ravissement, tout en maintenant une dose de vraisemblance, utilisant des personnages (plus ou moins) réels, de la Reine de Saba (Aamito Lagum, magnifique…) et son roi Salomon (Nicolas Mouawad) à Soliman le Magnifique (Lachy Hulme) et son fils Mustafa (Matteo Bocelli). Parce que ce djinn improbable a eu – et a donc toujours – une réalité dans notre monde : Mustafa a bel et bien été étranglé par une corde à arc !
Et au-delà des liens – ténus – entre la réalité et la fiction (3), c’est la présentation de ces deux mondes qui nous importe (nous emporte ?) le plus et nous enchante. Le monde d’Alithea nous est on ne peut plus familier, alors quand des djinns (il y en a deux autres) surviennent, ils se démarquent totalement, nimbés ou non d’un halo d’étrangeté (dans la salle de conférence surtout).
Par contre, le monde du djinn est par essence merveilleux et dès la première évocation, on voit (et ressent) tout de suite la différence d’avec notre réalité. Outre l’aura qui entoure ce même djinn, c’est la qualité de l’image qui nous transporte. A l’instar de The Fall de Tersam Singh (2006), les images qui nous sont proposées ont une qualité supérieure, accentuant l’aspect merveilleux de cet univers qu’on qualifierait aujourd’hui de « réalité augmentée ».
Et puis il y a le duo vedette, impressionnant de professionnalisme et donc de justesse. Tilda Swinton est, comme toujours, formidable, et Idris Elba joue à son (haut) niveau, donnant une dimension surréaliste à ce huis clos particulier. Parce que seule leur dernière séquence se déroule en extérieur, une fois que l’intrigue est réalisée, une sorte d’épilogue comme on en trouve à la fin des contes : « ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours », a-t-on l’habitude de lire, et si le film ne va pas jusque là, il ne l’interdit pas…
Et ce qui est le plus fantastique (dans tous les sens du terme, bien évidemment), c’est cette espèce de contradiction entre l’aspect merveilleux du djinn et le pragmatisme de la narratologue. Alithea, au contraire des victimes (4) précédentes, est toujours consciente de la gravité de ce triple choix, reculant jusqu’à l’extrême limite le moment où elle dira « je souhaite… » (“I wish”…).
Et malgré tout, c’est cette personne rationnelle qui va résoudre l’intrigue, amenant la transfiguration (merci Vladimir Propp) du génie et le libérer définitivement…
PS : J’ai utilisé le terme surréaliste à dessein à propos de ce huis clos. En effet, tout comme le mouvement issu du dadaïsme, c’est essentiellement d’amour (fou ?) et de rêves qu’il est constitué.
- Complets : il a participé à La quatrième Dimension en 1983) pour un segment.
- “And now for something completely different.”
- D’autant plus ténus que nous sommes au cinéma où, nous le savons bien, la réalité est celle du film et rien d’autre : tout est possible !
- Qu’elles l’aient voulu ou non, les personnes à qui on a donné le pouvoir des trois vœux en ont été leur propre victime !