Pourquoi doit-on toujours attendre aussi longtemps un film présenté à Cannes : Tirailleurs a été projeté le 18 mai 2022 et ce n’est que le 4 janvier de l’année suivante qu’on peut enfin le voir !
Et pour le voir, ça valait tout de même le coup d’attendre : cela faisait plus de 15 ans (1) qu’on n’avait pas eu une autre version de la Guerre - j’entends différente de celle des livres d’histoires édités dans la métropole.
1917, quelque part au Sénégal.
Bakary Diallo (Omar Sy) vit paisiblement avec sa famille et il s’occupe de son troupeau avec son fils Thierno (Alassane Diong), jusqu’au jour où les Blancs se rappellent à leur souvenir, et en particulier la France qui a besoin de chair à canons pour son front des Ardennes. Thierno est malheureusement attrapé et enrôlé. Bakary décide alors de lui venir en aide et s’engage volontairement, pour rester près de son fils.
Et il y restera jusqu’au bout, comme le père qu’il est : il doit protéger son fils coûte que coûte.
Si la Guerre fut un déracinement pour les soldats de Bretagne, Auvergne (etc.), que dire de ces Sénégalais enrôles de force pour défendre « Maman Patrie » ? Parce qu’ils ne sont pas vraiment partis la fleur au fusil, eux…
Mais il est alors impossible de faire marche arrière deux solutions s’offrent à eux pour en sortir : la fin du conflit (hasardeuse) ou la désertion. C’est cette dernière que choisit Bakary : normal, ce conflit ne le concerne en rien et il n’est là que pour ramener son fils. De son côté, ce même fils n’a pas la même opinion : certes, son père reste son père mais des responsabilités lui sont confiées et malgré la présence de son père, cette guerre va le sortir violemment de l’enfance. Comme il le lui dit : les enfants ne tuent pas des gens.
[Attention : la résolution de l’intrigue va être en partie révélée. Vous pouvez encore partir et revenir quand vous aurez vu le film (si vous le désirez). Autrement, vous continuez à vos risques et périls…]
Dans ce film, 1917 est une longue parenthèse entre la découverte d’un cadavre et la mise en bière des os retrouvés. Et c’est, bien sûr la situation de guerre qui reste centrale pour le décor parce que ‘accent est mis sur la relation entre un père et son fils, et pas seulement en ce qui concerne les deux Sénégalais. Et cette relation va évoluer vite, trop vite bien sûr pour Bakary, mais le contexte oblige à cette évolution rapide : la guerre transforme voire transfigure les hommes et ceux qui en reviennent ne sont plus les mêmes. C’est pareil ici : et le lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet) va précipiter les événements entre le père et le fils en nommant caporal le jeune homme. Son père va devoir lui obéir, malgré sa position. C’est une nouvelle raison qui va amener Bakary à fuir – avec son fils – ce lieu terrible.
Mais la fuite n’a jamais été une solution, et on s’en rendra compte dans les dernières séquences : les « étranges fruits » qui se balancent… Et c’est en restant que Bakary va se réaliser pleinement : en sauvant son fils d’une mort certaine, il va trouver la sienne (2), « aux champs d’honneur » comme ils disent.
L’éloge funèbre qui suit est une séquence-clé du film : le général Chambreau (François Chattot) rend hommage au lieutenant du même nom qui est tombé, lui aussi. Mais aucune émotion, aucun chagrin pour cet homme qui enterre son fils. Alors que dans le même temps, le fils Diallo pleure un père qui ne sera pas honoré, son corps restant pourrir sur le champ de bataille. IL y a dans cette séquence une émotion palpable ainsi qu’un échange incongru : l’hommage funèbre du général à son fils n’a même pas une connotation personnelle et elle peut donc s’appliquer aisément à Bakary.
Si la vision de la guerre n’est pas spectaculaire, il y a (au moins) deux raisons : la relation père fils est le nœud de l’intrigue, mais aussi parce que la guerre n’est spectaculaire qu’au cinéma… C’est une guerre ordinaire, avec des morts qui s’entassent, qu’on entasse… Et tout ça pour avoir droit à un discours lénifiant et creux qui était de mise à l’époque : « si vous vous battez bien, vous serez des citoyens français. » Parce que ces braves tirailleurs restaient sénégalais, ils n’étaient français qu’une fois morts. Et encore…
Alors la pirouette finale (dernière séquence) est un magnifique pied de nez à cette « patrie » qui n’acceptait les autres (ceux des colonies) que s’ils voulaient bien mourir pour elle…
- Indigènes (Rachid Bouchareb, 2006)
- J'avais prévenu…