« Le monde ancien s’en est allé. » (1)
C’est un pasteur qui dit ça, au moment du naufrage, quand la coque arrière se soulève.
Nous sommes en 1912, et c’est exactement ce qui se passe. Le monde ancien – l’aristocratie – est en train de vivre ses dernières années. Bientôt, la première guerre mondiale balayera tout et fera entrer le monde dans le vingtième siècle.
On est obligé de penser à ce que disait Rauffenstein dans La grande Illusion (allez voir ma critique, j’ai horreur de me répéter).
Ici, deux destins : Rose (Kate Winslet) et Jack (Leonardo di Caprio). Deux extrêmes. Dans la vie comme sur le bateau. Leur rencontre est hautement improbable, mais au cinéma, tout est possible. Et tant mieux.
Rose est une fille de famille De famille désargentée, certes, mais de famille tout de même. Pour elle – et pour sa mère – c’est le voyage de la dernière chance : celui qui les ramènera aux Etats-Unis où elle épousera un riche héritier : Cal(edon) Hockley. Bien entendu, c’est un aristocrate imbu de lui-même et d’une honnêteté fluctuante. En clair, c’est un beau salaud. Il est accompagné d’un sbire : Lovejoy. Son nom seul est parlant : c’est un méchant à l’ancienne, avec un flingue en cas de négociation. David Warner, habitué des rôles de méchant est à son aise. Bref, une réussite.
Rose vit dans un monde sclérosé qui n’a pas su s’adapter au monde qui évolue. Il faut voir son regard dégoûté quand une mère « éduque » sa fille au maintien à table pour tout comprendre : la vacuité de cet exercice couplée à l’expérience vécue.
Jack Dawson est poursuivi par le destin : c’est un loser. Il gagne son billet pour l’Amérique, mais nous savons tous – je ne dévoile rien en disant que la bateau coule avant la fin – que ce sera son dernier voyage. C’est un artiste, mais aussi un jouisseur. En observant ses dessins, on voit qu’il était à Paris et à Giverny, entre autres. Il profite de la vie. C’est lui le premier qui se rend à l’extrême proue du paquebot afin de jouir du déplacement.
Pour le reste, aucune surprise, nous savons que la bateau va couler (je ne vous l’avis pas dit ?).
Mais quand l’iceberg se présente, toute la tension se résume à ça : vont-ils arriver à l’éviter. Malgré notre science, nous voulons qu’ils évitent l’obstacle, mais bon. C’était inéluctable.
[L’était-ce vraiment ?]
Après avoir décrit cette classe supérieure, James Cameron déroule : c’est une catastrophe extra-ordinaire. Et il filme ça de cette façon : nous assistons à un naufrage extra-ordinaire.
De plus, Rose et Jack nous font vivre les différents degrés du naufrage. Et nous y croyons encore ! Ils ne peuvent pas mourir !
James Cameron réalise ici un film magistral. [J’ai toujours dit que c’était un maître] Il nous emmène dans une tragédie écrite : nous savons que le bateau va couler (même vous, lecteurs, le savez, maintenant). Mais peu importe. Nous voulons que les gens s’en sortent. Et Cameron est formidable : il nous donne l’espoir. Mais malgré tout, l’histoire nous rattrape, et il suffit de voir les corps gelés des « survivants » pour s’en convaincre.
En fin de compte, nous assistons à la fin d’un monde et à la naissance d’un nouveau. Ce monde qui meurt, c’est cette aristocratie qui a tant bien que mal survécu à la Révolution française. Cette aristocratie va décliner et (plus ou moins) disparaître. Dans le même temps, la classe moyenne (bourgeoisie) va s’installer et diriger le monde (du XXème siècle).
Et le plus important dans ce film est la façon dont sont traitées les classes sociales :
Alors que la classe dirigeante tient le haut du panier (bien entendu) et Que les autres doivent survivre, nous assistons ici à la passation de pouvoir. Il n’y a pas de « bourgeois » héritier de la situation. Mais il y a des gens qui vivent.
Parce que si la classe supérieure est moribonde, il n’en va pas de même pour les autres.
Si l’aristocratie est moribonde, il n’en va pas de même des autres. La véritable vie est en bas. Jack y entraîne Rose. Elle passe certainement la plus belle soirée des sa vie, mais malgré tout, elle doit rentrer dans le rang. Quoi qu’il en soit, nous avons pu voir une fête à tout casser !
Rose est en première classe. Jack en troisième. Mais il est étonnant de voir que c’est la troisième classe qui est vivante. Jack entraîne Rose dans ce lieu de perdition, et nous avons droit aux scènes les plus vivantes du film !
Pour résumer, nous assistons à la fin d’un monde. Rose est le catalyseur vers cet inconnu. Peu importe qu’elle survive, son monde meurt. Et c’est ça que Cameron a réussi à nous montrer.
- Saint Paul (2 Cor, 5)