Que cela soit clair tout de suite : non, je n’ai pas vu le film de Kurosawa (Ikiru, 1952) (1) dont est tiré ce remake magnifique d’Oliver Hermanus. Bien entendu, je n’ai qu’une envie maintenant : le voir ! Mais ceci sera une autre histoire.
[Attention, des éléments de résolution de l’intrigue se sont glissés dans ce qui suit…]
Londres, juillet 1953.
Pendant que d’aucuns préparent leur vacances (à Bournemouth, par exemple), Mr. Williams (Bill Nighy) se rend chez son docteur.
Monsieur Williams est un fonctionnaire de la mairie qui dirige un service dont la principale activité semble être de faire durer les projets, les écartant résolument afin de s’en occuper plus tard. Comme le dit Miss Harris (Aimee Lou Wood), plus la pile de dossiers sur votre bureau est importante et plus vous êtes un fonctionnaire productif.
Mais cette visite chez le docteur est différente des autres : le résultat des analyses est sans conteste, Mr. Williams est atteint d’un cancer en phase terminale. Il en lui reste que six mois à vivre. Huit ou neuf tout au plus.
Alors Mr. Williams va changer…
Et quel changement: c’est là tout le sel du film, qui voit cet être somme toute insignifiant donner un véritable sens à sa vie. C’est toujours pareil, me direz-vous, quand on sent sa fin proche, on a envie d’employer au mieux ces derniers instants. Encore que… La tentation d’en profiter une dernière fois est là, bien sûr, avec cette séquence qui le voit (à son tour) à Bournemouth, lieu de villégiature de la classe moyenne anglaise (entre autres) dans ce début des années 1950. Mais cette envie de s’amuser (2) va tourner court : tout d’abord, Williams a passé l’âge de ce genre de choses, mais aussi son interprétation de The rowan Tree dans un pub/cabaret le renvoie à son passé, avec sa femme qu’il a perdue si jeune. On sent poindre tout son désespoir quand il interrompt sa chanson : oubli des paroles ? Impossibilité de la mener au bout ? La fin du film répondra à cette question.
Si cette expérience est plutôt malheureuse, elle n’en demeure pas le déclencheur du véritable changement de vie que va opérer Williams : ça commence par un chapeau qui détone par rapport à celui qu’il portait auparavant (un melon, cela va de soi), puis c’est au tour de son travail qu’il va abandonner le temps de se reprendre, comme une courte dépression qui l’empêche de fouler à nouveau l’espace de son bureau. Mais une fois que sa résolution est prise, il va se décider : vivre pleinement ce qu’il connaît le plus, son travail.
Hermanus, dès la séquence d’introduction – un film d’archives (en couleur) un tantinet dépoussiéré de cette époque où la guerre est encore un souvenir fort – nous met dans le bain. Le format choisi pour ce film (1.48 : 1) n’est d’ailleurs pas anodin, il rappelle ceux de la période évoquée, bien loin des résolutions extra larges qui constituent la majorité des films actuels. Et la reconstitution qui va avec est de toute beauté. On suit avec délectation les pérégrinations de ce jeune employé de la mairie de Londres, Wakeling (Alex Sharp) qui débarque dans ce service en pleine mutation (3) : il voit le fonctionnement avant le changement de Williams et une fois ce dernier parti.
Parce que l’une des forces de la narration de Hermanus, c’est de ne pas avoir terminé son film sur la mort – annoncée, donc – de son personnage principal : après sa mort, son influence – toute relative selon ses propres mots – se fait toujours sentir dans ce qu’il a fait pour remplir sa vie (ou tout du moins ses derniers six mois).
Et Hermanus illustre très bien le principe qui voit sa vie décliner alors que son engagement se renforce, comme s’il ne dépendait plus que de cet ultime projet pour exister. Mais cette idée de rattraper le temps perdu – vieille chimère qui nous prend tous à un moment ou à un autre – se produit à la suite d’une double rupture : le changement d’attitude de Williams et surtout sa mort brutale – dans sa présentation – après avoir décidé d’agir.
Mais cette brusquerie – sa disparition semble nous empêcher de voir ce qu’il a fait une fois au parti – se fait malgré tout en douceur, le temps d’un travelling avant qui se termine sur la photo de Williams, celle qui est posée sur son cercueil. Cette photo est superbement amenée parce que même si on sait que c’est Williams qui repose devant nous, il nous faudra attendre les dernières secondes pour en être sûr : la netteté s’affinant à mesure que nous approchons, jusqu’au couperet que représente cette photo sans plus aucune contestation : Williams est mort.
Et c’est au moment où nous avons donc la preuve qu’il est mort qu’il devient vivant et que le titre du film prend toute sa dimension.
Bien sûr, le film de Hermanus repose aussi sur une interprétation irréprochable, Bill Nighy en tête. Il est un Williams magnifique, véritable produit de l’establishment britannique, flegmatique à souhait, mais dont la prise de conscience de sa fin proche va réveiller son instinct de survie. Et cet instinct va surtout se retrouver dans son visage qui, s’il reste (la plupart du temps) impassible n’en est pas moins remplie de cette vie qui lui aurait fait défaut tout ce temps. De plus, sa voix feutrée, à peine plus élevée qu’un murmure fait toute sa force (4) : son autorité et sa réserve, tout comme sa détermination.
Bien sûr, ceux qui l’accompagnent dans ce film – Aimee Lou Wood, Alex Sharp, Adrian Rawlins (Middleton), pour ne citer qu’eux – se hissent au même niveau d’excellence, faisant de ce film un remake qui, je pense, n’a rien à envier à son original.
[Il y a un parallèle troublant entre le personnage de Wakeling et celui de Joe Lampton (5), à propos de l’attitude de ce dernier dans le roman : le surnom que Miss Harris donne à Williams n’y est pas étranger. On notera aussi dans cette même idée le vœu que Middleton exprime après la mort de son chef de service : une fois sa place prise, il n’en sera plus rien, et tout rentrera dans l’ordre, ou plutôt le train-train quotidien de ce service. Et même Wakeling s’y résoudra.]
- C'est fait ! (4-4-2024)
- Est-ce que profiter de la vie c’est s’amuser ? Cela semble être en partie la façon de penser du jeune homme qui l’accompagne (Tom Burke).
- Encore que…
- D’où l’intérêt de voir le film en VO !
- Les Chemins de la Haute Ville (Room at the Top – John Braine, 1957)