Etonnamment, ce texte s'était « perdu dans le tri » et aurait dû être publié l'an passé. Soit bien avant le film de Spielberg...
Plus de 60 ans se sont écoulés depuis la sortie du film, et ce dernier garde toujours sa force intacte. Robert Wise aidé de Jerome Robbins dirige cette tragédie avec brio, modernisant comme c’était prévu la pièce de Shakespeare.
La musique de Leonard Bernstein n’a pas pris une ride, enchaînant ce qui sont des classiques plus de soixante ans après la présentation à Broadway (1957).
On vibre toujours autant à cette histoire d’amour impossible entre deux jeunes gens qui ne sont pas de la même « espèce » (1).
On frémit devant cette violence annoncée et on se dit que la vie n’est pas juste et qu’il aurait suffi d’un tout petit coup de pouce du Destin dans l’autre sens pour que cette histoire se termine bien.
Parce qu’elle se termine mal. Très mal. Et les plus pessimistes – dont il m’arrive de faire partie – diront que cette histoire, sur le fond n’est pas près de se finir.
Leonard Bernstein (musique) et Stephen Sondheim (paroles) – sur un livret d’Arthur Laurents – ont su adapter cette histoire d’amour absolue, remplaçant les deux familles par deux gangs issus de l’immigration : les Jets et les Sharks.
La différence qu’il existe entre eux ? La couleur tout d’abord, et la période d’arrivée aux Etats-Unis.
Et les Sharks, d’origine portoricaine ont le désavantage d’être plus foncés et arrivés récemment.
Parce que les Jets, eux aussi, ne sont pas ce qu’on peut appeler des Américains « pur souche », pour reprendre une expression nauséabonde qui est malheureusement toujours d’actualité. Ils sont arrivés – ou plutôt, leurs ancêtres – bien avant, s’intégrant petit à petit dans ce grand pays de la Liberté…
En effet, Tony (Richard Beymer) est d’origine polonaise et s’appelle en réalité Anton, Action a des ascendants italiens, d’autres irlandais…
Ils forment tous ce creuset (2) dans lequel se mélangent ceux qui sont venus en quête d’une meilleure vie, loin des persécutions et de la misère.
Mais tous ces ados n’ont pas connu cette misère que leurs parents ont dû fuir, et maintenant se comportent comme tous les autres, ceux arrivés avant eux, voire ceux qui ont fondé ce pays.
Pire, ils se décident supérieurs à ceux qui leur sont différents.
Ce sont avant tout des ados qui comme leurs aînés, s’expriment par cette violence et ce désir de domination. Ils ne sont pas loin de Johnny Strabler (Marlon Brando) dans The wild One (1953) ou évidemment Jim Stark (James Dean) (3). Eux aussi avaient cette même haine qui les animait, comme elle anime les ados aujourd’hui. Malheureusement encore, ce sera la même chose demain.
Mais heureusement, au milieu de ce monde de violence et de haine, il y a Maria (Natalie Wood) et Tony. Tony est un ancien Jet, et Maria la sœur de Bernardo (George Chakiris), le chef des Sharks.
Et puisque tout les sépare, ils vont se trouver, s’aimer, et rêver qu’il existe quelque part un endroit pour eux (4).
Mais comme pour leurs prédécesseurs shakespeariens, il n’en est rien, la mort est au bout du chemin.
Autant vous le dire tout de suite, je ne peux pas regarder ce film sans finir les larmes aux yeux tellement l’histoire, la musique et les interprètes sont prenants. J’ai beau avoir passé des heures à écouter la BO du film, quand Maria (Marni Nixon) et Tony (Jimmy Bryant) chantent Tonight (fin de la première partie), j’ai des frissons. Rien que d’en parler, ça me reprend.
Il faut dire qu’il s’agit peut-être du plus grand film musical qui ait été tourné.
Mais il n’y a pas que la musique. Il y a la danse qui a une place très importante et qui est absolument magnifique. Au premier abord, cela peut paraître étonnant de voir des ados qui jouent aux durs en train de danser, mais très rapidement on entre dans cet univers où la danse est une autre façon d’exprimer la violence qui est en eux.
Et le travail chorégraphique de Jerome Robbins, après la scène de Broadway, s’accorde parfaitement avec les différents points de vue dirigés par Wise et photographiés par Daniel L. Fapp. Sans oublier non plus les montages visuel (Thomas Standford) et sonore (Gilbert D. Marchant) qui donnent au film son rythme (5).
Parce que les plans et les différents filtres utilisés sont là encore en totale adéquation avec l’histoire.
La rencontre de Maria et Tony, pendant le bal est on ne peut plus pertinente. Tony aperçoit Maria qui en fait de même et tout autour est flou, seuls eux deux existent : c’est normal, « les amoureux sont seuls au monde », comme dans le film de Decoin (1948).
En plus, la musique ralentit qui leur permet de faire quelques pas de danse avant de s’étreindre. Le temps semble s’être arrêté. Jusqu’au moment où la musique accélère et la réalité les rattrape, les séparant.
Autre élément visuel important, la couleur : le bleu de Maria, qui lui donne une allure de Madone et qui se transformera malheureusement en Mater Dolorosa.
Et le rouge surtout, symbole du sang, messager la mort. Pas étonnant donc que Bernardo soit en rouge.
Tout comme la partie Quintet, chantée par tous les protagonistes, en groupes – Jets et Sharks – ou en individuels – Maria, Tony, Anita – et annonçant les événements de la nuit. Wise a choisi un filtre rouge des plus agressifs, se reflétant sur les lieux et surtout sur les visages, même celui d’Anita.
Et puis il y a la fin. Cette fin en demi-teinte, où finalement personne n’est sauvé. Les Jets et les Sharks repartent, emportant le corps de Tony, réassemblés temporairement par cette mort encore plus terrible que celles de Bernardo et Riff (Russ Tamblyn), parce que voulue.
C’est une sorte d’union sacrée qui fait s’en aller les jeunes gens, mais on sait que cette union n’aura qu’un temps et que finalement, ça recommencera. Peut-être pas dans le West Side, il suffit de regarder autour de nous pour comprendre que ça ne s’est jamais arrêté.
Hélas.
- « stick to your own kind », chante Anita à Maria (deuxième partie).
- Le fameux Melting-pot.
- James Dean était pressenti pour le rôle de Tony à Broadway, mais il mourut avant les auditions. A noter la présence (déjà) de Natalie Wood à ses côtés dans le film de Nicholas Ray.
- There’s a Place for us (deuxième partie) chanté par Maria et Tony.
- Terme on ne peut plus adéquat.