Alice Sycamore (Jean Arthur) est amoureuse de Tony Kirby (James Stewart). Sauf que.
Sauf que si la famille de Tony est très riche et respectable, il n’en va pas de même de la famille d’Alice.
Chez les Sycamore, chacun fait ce qu’il lui plaît : le grand-père Vanderhof (Lionel Barrymore) collectionne les timbres et joue de l’harmonica ; Essie (Ann Miller) – sœur d’Alice – danse sur des musiques de son mari Ed (Dub Taylor), sous l’œil attentif de son professeur le Russe Kolenkhof (Mischa Auer), sans oublier l’atelier à la cave où on fabrique des pétards et autres accessoires de fête.
Alors quand Alice veut que les deux familles se rencontrent, l’originalité de la famille n’est pas obligatoirement un atout auprès de sa future belle-famille…
Ce qui est formidable, dans le cinéma de Frank Capra, c’est qu’on finit (presque) toujours avec un sourire. Quoi qu’il arrive, on termine sur une fin heureuse, où le bonheur que tout le monde recherche est, en fin de compte, à portée de main.
Mais dans ce film, le moyen d’y arriver est encore plus évident : faire ce qu’on a envie.
Il faut dire que les Vanderhof-Sycamore sont des experts de ce principe. Chacun vit en bonne intelligence avec les autres et fait ce qu’il veut.
Alors quand le rencontre, qui était bien planifiée se trouve être avancée, les Kirby se retrouvent face à des gens qu’on peut aisément qualifier de dingues.
Mais au-delà de cette folie – finalement pas si évidente que ça – c’est un mode de vie que nous présente Capra. Et Vanderhof, malgré son détachement apparent des choses terrestres, est tout sauf un illuminé. On peut même dire qu’il est en quelque sorte le porte-parole de Capra lui-même : pas un grand supporter du gouvernement de l’époque, dirigé par Franklin Roosevelt…
Et c’est le moment où un représentant de ce même gouvernement vient demander à Vanderhof un arriéré d’impôt de 22 ans (!) que s’exprime le mieux son point de vue hostile, qu’on retrouvera aussi dans son film suivant : Mr Smith au Sénat.
Mais au-delà de cet aspect politique, c’est avant tout un film sur l’amitié et une très belle illustration de la maxime célèbre : « l’argent ne fait pas le bonheur ».
Car en fin de compte, ce qui est essentiel, ce n’est pas d’amasser un maximum d’argent : c’est bien connu, les linceuls n’ont pas de poche (d’où le titre).
C’est l’amour le plus important, l’amour fraternel qui prévaut. Et le véritable déclenchement de cette prise de conscience par Kirby père (Edward Arnold), c’est quand coup sur coup son ancien ami Ramsey (H.B. Warner) et son propre fils se détachent de lui, au moment où il va réaliser son rêve financier le plus important de sa vie professionnel. Là se posera le choix crucial : l’argent ou l’amour ?
Mais ce film est aussi l’occasion de retrouver l’immense Lionel Barrymore, qui est malheureusement rattrapé par sa santé : l’arthrite l’oblige à se déplacer en béquilles pendant tout le film, le scénario ayant été modifié pour faire passer ce handicap pour un accident récent. Mais s’il fut diminué physiquement, il n’en reste garde pas moins un œil pétillant et une attitude espiègle tout au long du film.
De plus, il est non seulement le pilier qui soutient cette maisonnée et par la même occasion le quartier tout entier, sorte de vieux sage qui, s’il ne s’est pas retiré du monde est régulièrement sollicité dans les moments de crise.
Ce personnage altruiste, même s’il a des idées très individualistes, annonce George Bailey – qui sera d’ailleurs interprété par le même James Stewart – dans La Vie est belle : un homme qui s’il n’est pas riche à millions, est tout de même riche d’amis, ces amis que l’argent ne pourra jamais acheter.
Il y a aussi dans ce film – qui fut tourné il y a maintenant 80 ans – une portée prémonitoire. En effet, la situation économique de l’époque est assez similaire à celle qu’on vit actuellement – la menace fasciste en plus (quoi que…) – où les riches s’enrichissent toujours plus et les pauvres (la « racaille » dont parle Kirby Sr.) toujours plus pauvres et en outre méprisés (la crise ne sera résorbée qu’avec la deuxième guerre mondiale).
Et en plus, Tony Kirby (Jr) est un magnifique visionnaire, puisqu’il veut réfléchir à une nouvelle source d’énergie naturelle et qui, même si elle existe depuis l’Antiquité, semble utopique à la fin des années 1930 : l’énergie solaire !
Un film qui se laisse toujours très agréablement regardé et vous donne, bien entendu, le sourire aux lèvres quand s’écrit le mot fin.