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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Comédie dramatique, #Guerre, #Jean-Jacques Annaud
La Victoire en chantant (Jean-Jacques Annaud, 1976)

« La République nous appelle,
Sachons vaincre ou sachons périr ;
Un Français doit vivre pour elle,
Pour elle un Français doit mourir. »

Si on connaît les premières paroles du Chant du Départ, on en ignore souvent le refrain ci-dessus (1). Et ce refrain est tout adapté pour ce film de guerre bien singulier.

Mais reprenons.

 

En Afrique Equatoriale Française, on se prépare à fêter le nouvel an : 1915 s’annonce bien. Et puis le jeune Hubert Fresnoy (Jacques Spiesser) reçoit les derniers numéros de l’Humanité. C’est la consternation : Jaurès a été tué. Pour les autres, c’est une information différente qui retient leur attention : la guerre a été déclarée contre l’Allemagne !

Poussé par les quelques colons français, le sergent Bosselet (Jean Carmet) déclare la mobilisation générale sans grand enthousiasme.

Dès lors, il n’y a plus qu’un seul objectif : aller tuer les Boches qui sont positionnés de l’autre côté de la rivière ! Les mêmes avec qui on faisait des affaires.

 

Pour un premier film, Jean-Jacques Annaud fait fort ! C’est à boulet rouge qu’il tire sur la bourgeoisie, la guerre et la colonisation. Il faut dire que ces trois thèmes vont souvent ensemble : on fait la guerre pour les bourgeois et on espère coloniser l’adversaire. Sans oublier la religion, accessoire indispensable du sabre militaire !

Mais là, c’est avant tout la guerre pour elle-même dont il est question. Nulle revendication territoriale ou idéologique, seulement l’envie d’en découdre avec un ennemi.

Une petite guerre de rien du tout : un village frontière qui va attaquer un poste isolé. Mais dans le cœur (et l’esprit) de ces patriotes de la dernière heure (la guerre est déjà bien entamée et meurtrière en janvier 1915).

 

C’est aussi une guerre qui ne dure pas, puisque les Allemands vont se rendre aux Britanniques. Mais on peut imaginer qu’à la proportionnelle, c’est l’une des batailles les plus meurtrières de ce conflit mondial. Et surtout, on remarque que les seules victimes de cet engouement patriotique sont les autochtones. Mal entraînés et mal équipés (à peine 20 fusils pour une centaines de soldats), il ne font pas long feu devant la mitrailleuse allemande. Et même l’offensive – un tantinet plus élaborée de Fresnoy tourne au désastre, ajoutant encore des victimes que l’enjeu dépasse complètement.

Alors vous parlez d’un « effet bénéfique de la colonisation » ! (2)

 

Annaud nous démontre avec ce film l’absurdité de la guerre – il faut le rappeler souvent puisqu’on continue à se battre de nos jours – mais d’une manière très astucieuse et subtile. Elle se réduit à des classes bâclées pour ces soldats d’occasion et le bruit de la mitrailleuse au loin pendant que les civils pique-niquent tranquillement « comme au bon vieux temps » de la guerre : c’est seulement quand les premiers blessés commencent à refluer qu’ils prennent conscience de l’aspect meurtrier de la chose et retournent vite fait dans leurs quartiers !

Parce que l’absurdité est poussée à son comble : seuls les Africains sont tués pour un conflit qui ne les concernent pas. Et les va-t-en-guerre redeviennent aussi vite pacifistes qu’ils ont été bellicistes !

 

Et Annaud enfonce le clou quand il annonce la guerre. C’est au bistro que tout se passe. On y apprend la déclaration, on y décide d’un engagement et on y décrète la mobilisation générale ! Tout se réduit (presque) à des discussions de comptoir : une bande d’alcooliques galvanisés par la boisson et qui vont dessoûler brutalement au premières rafales de mitrailleuse.

La fin ressemble alors à une gueule de bois – assumée – et c’est le spectateur qui en mesure les effets : une guerre de plus à l’envie de décolonisation qui va secouer le continent dans les décennies suivantes.

 

Et ce qui fait la force du film, outre le sujet iconoclaste, c’est la performance des interprètes. Annaud a rassemblé un trio de seconds couteaux de toute beauté. Outre Carmet, la présence de Jacques Dufilho (Paul Rechampot, le bistrotier-épicier) et Maurice Barrier (Caprice) donne une véritable authenticité à ces colons mesquins. Sans oublier Claude Legros (Jacques Rechampot,frère de l’autre) dont la tête d’ahuri se fond magnifiquement dans le décor. Et encore plus quand c’est lui qui commande une colonne de soldats.

Et les femmes ? Deux sont mises en avant : Marinette (Catherine Rouvel), la femme de Caprice et Maryvonne (Dora Doll), qui soulage les hommes célibataires (et les autres) mais ressemble plus à une tenancière qu’une pensionnaire de maison close. Elles ne prennent pas part au conflit mais ont tout de même un haut degré de ferveur et encouragent les hommes à combattre. La grande différence avec celles d’Europe, c’est que leur rôle s’arrête là. Elles ne vont pas participer à l’effort de guerre. Même pas soigner les blessés : normal (de leur point de vue), ce sont des Africains.

 

Il n’est donc pas étonnant que ce film fut un échec à sortie et même à son retour sur les écrans l’année suivante,bardé de l’Oscar du meilleur film étranger : la guerre et la colonisation par les Français sur les Africains n’avaient pas vraiment de quoi enorgueillir certains spectateurs… Sans oublier la religion représentée par les deux prêtres (Jacques Monnet et Peter Berling) qui en illustrent parfaitement l’hypocrisie.

Bref, tout pour se fâcher avec une partie de la population française !

Qu’à cela ne tienne, Annaud récidivera trois ans plus tard avec Coup de Tête. Mais ceci, bien entendu, est une autre histoire…

 

PS : il est amusant de constater que le film est sorti un 22 septembre, jour anniversaire de la 1ère République Française. Le Chant du départ est d’abord un chant de la Révolution (écrit en 1794 par Marie-Joseph Chénier et Etienne Nicolas Méhui).

 

  1. Sauf si vous avez soutenu VGE en 1974 !
  2. Il y aura un effet, et qui touchera seulement les Camerounais. Mais qui ne changera pas grand-chose à la situation.
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