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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Comédie dramatique, #Akira Kurosawa
Vivre (生きる - Akira Kurosawa, 1952)

Kanji Watanabe (Takashi « Kanbei Shimada » Shimura) est très malade : il a un cancer de l’estomac. Mais quand le film commence, il ne le sait pas. C’est un petit fonctionnaire qui travaille au service des Affaires Publiques, dirigeant le service et qui s’applique – tout comme ses subalternes – à ne pas faire bouger les choses : les dossiers s’empilent devant chacune de ces personnes, et quand une pile est trop haute, on la classe avec le reste, dans la pièce, le long des murs.

Alors quand Watanabe apprend qu’il est condamné, sa vie bascule : il ne va plus au travail, dépense son argent sans compter, se saoule et va même jusqu’à fréquenter des femmes…

Mais cette vie d’insouciance n’a qu’un temps et lui se rend bien compte qu’il n’en a plus beaucoup (de temps).

Alors pour la première fois depuis la mort de son épouse, il va faire quelque chose de sa vie.

 

J’ai déjà parlé ici du très beau remake qui en fut fait par Oliver Hermanus en 2022, alors il va être difficile de ne pas être redondant. Mais si ce film a très largement inspiré le second, il n’en garde pas moins une force qui, à mon avis, va plus loin que son cadet.

Kurosawa allie maîtrise cinématographique et pertinence à un très haut niveau. Pertinence de son intrigue et des actions, pertinence des cadrages avec ou sans mouvement, avec en fil rouge le regard perçant de Shimura qui est déjà au-delà de la vie de son personnage.

Quant à la bande-son, elle est elle aussi d’une grande justesse, alternant des musiques plus ou moins populaires et de grands instants de silence (un avant-goût de l’éternité qui l’attend ?) qui nous ramènent inlassablement à ce visage très humain.

 

Parce que la grande différence entre ce film et le remake, c’est avant tout le traitement des différents éléments de l’intrigue (1) qui diffère ici. Déjà, il y a cette rupture quand Watanabe décide de se mettre sérieusement au boulot. Et Kurosawa reprend le récit de ce changement au même instant qu’il l’avait quitté, avec changement de point de vue : ce sont ceux qui travaillaient avec lui qui racontent son changement radical qu’il a opéré et qui s’est remarqué pleinement avec l’apparition de son nouveau chapeau, à la couleur « criarde » comme le constate l’un des convives invités à sa veillée funèbre.

 

Et malgré cet événement triste, Kurosawa va y mettre des éléments de comiques – on rigole souvent à un enterrement – qui vont accentuer le caractère humain des différents protagonistes de cet événement. Les invités, une fois les officiels partis (les chefs des différents services et le maire), vont rendre justice à celui qu’ils appelaient encore peu de temps avant « La Momie ». Ce sont leurs souvenirs qui vont nous aider – et surtout aider son fils Mitsuo (Nobuo Kaneko) – à revivre les dernières semaines de la vie de ce petit homme qui ne l’était pas tant que ça. Mais ces souvenirs sont magnifiés par l’effet du saké que ces invités ingurgitent inlassablement, jusqu’à atteindre l’euphorie et les serments qu’on aura oublié une fois les vapeurs de l’alcool dissipées.

Et cette séquence alcoolique dépare complètement face à la solennité du moment qui est accentuée par les différentes personnes étrangères qui viennent se recueillir : les femmes pétitionnaires à l’origine du projet qui fera revivre Watanabe et le policier (Ichirô Chiba).

Ce dernier d’ailleurs demeure l’élément déclencheur final, soulignant le bonheur de Watanabe sur sa balançoire : celui qui confirme les supputations des fonctionnaires quant à la cause du brusque changement de Watanabe.

 

Bien entendu, c’est avant tout le jeu Shimura qui est essentiel dans ce film. Son regard surtout exprime toute l’étendue des sentiments qui passent dans son esprit à chaque moment du film. Kurosawa joue avec ce regard et l’absence de son avec maestria, donnant au film une teinte muette : les dialogues sont minimaux, le silence (et le regard) de Watanabe parlant de lui-même. Et à l’instar des films muets, la musique y a son importance, soutenant plus ou moins l’action. Mais ce qui marque le plus, c’est l’absence de musique traditionnelle japonaise. A un seul moment, on en entend une : quand Watanabe, déjà alcoolisé, se met à chanter Gondola no Uta, dans un dancing, accompagné au piano. C’est une chanson d’amour, bien sûr, mais aussi une chanson de vie qui exprime pleinement ce que ressent son interprète face à la maladie qui le frappe et surtout sa propre vie qui s’enfuit. Ce n’est pas le moment déclencheur du changement, c’est là encore une prémonition.

 

Parce que le véritable élément déclencheur, c’est la jeune femme, Toyo Odagiri (Miki Odagiri – notez le patronyme…). Elle est jeune et d’une certaine façon au début de sa vie, face à ce mort ambulant qui regarde sa fin de ses yeux tristes mais perçants. Elle est pétulante, vraie, sans fard et s’exprime franchement comme quelqu’un qui a tout le temps de mûrir et devenir sérieux. Mais surtout, sa vie a un sens depuis qu’elle a quitté le bureau de Watanabe où comme les autres, elle s’ennuyait et passait le temps.

Elle vit, et elle va faire passer sa vie et son envie de vivre à ce mort en sursis, l’amenant (vers la moitié du film) à sourire pour la première fois depuis bien longtemps. On peut alors dire que c’est ce sourire qui va faire basculer la vie de ce petit homme condamné. Pas étonnant qu’on retrouve ce sourire quand il se balance, attendant plus ou moins la mort qui s’était annoncée, et qui est mis en valeur sur certaines affiches (voir ci-dessous).

 

Superbe

 

  1. La façon de filmer est inévitablement différente. A part le Psycho de Gus van Sant, je ne connais pas beaucoup d’exemples d’un film refait à l’identique…
Vivre (生きる - Akira Kurosawa, 1952)
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