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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Muet, #D. W. Griffith, #Lillian Gish
A travers l'Orage (Way down East - David Wark Griffith, 1920)

Un monument du cinéma.

 

Anna Moore (Lillian Gish), une jeune campagnarde naïve qui arrive à la (grande) ville.

Lennox Sanderson (Lowell Sherman), un vil séducteur de cette même grande ville.

David Bartlett (Richard Barthelmess), un fils de bonne famille.

Un faux mariage, un abandon, et Anna se retrouve seule avec un enfant mourant.

Une deuxième chance auprès des Bartlett…

Et en toile de fond, l’Amérique puritaine.

 

Il s’agit avant tout d’un terrible mélodrame. Tout est là pour faire pleurer dans les chaumières : la jeune orpheline dont on abuse, le vil séducteur, l’enfant sans père qui meurt dans les bras de sa mère. Tout est terrible dans ce film.

 

Mais comme nous sommes chez Griffith, il faut en tirer une leçon. Et la conduite de Lennox est le grand reproche que Griffith fait à son époque. Mais près de cent ans après, les choses n’ont guère évolué !

En effet, Anna, qui a succombé au charme de Lennox est considérée comme une fille perdue, voire pire, par une société pudibonde où la femme est avant tout coupable, surtout depuis le péché originel. Alors que dans le même temps, Lennox, qui a abusé de cette jeune fille innocente, n’est pas inquiété. Il le dit lui-même : un homme se doit d’avoir des aventures de jeunesse, mais une femme, non.

Aujourd’hui encore, on admire un homme qui a plusieurs conquêtes (« c’est un dom Juan ! »), alors qu’on méprise une femme qui en a autant (« c’est une salope ! »).

 

Pourtant, ce n’est vraiment pas le cas d’Anna. Elle est une victime qu’on enfonce, dans une société rurale extrêmement moralisatrice, représentée par la terrible Martha Perkins (Vivia Ogden), qui pèse de tout son poids dans le destin de cette pauvre jeune femme.

Heureusement, comme je l’ai déjà dit, nous sommes chez Griffith. Et si dans Le Lys brisé, la noirceur l’avait emporté, ici, c’est l’amour qui triomphe dans un sauvetage de dernière minute – la spécialité du maître – des plus époustouflants.

 

Un an après Broken Blossoms, Griffith retrouve son couple vedette pour l’un de ses chefs-d’œuvre. Alors que ce dernier film était étouffant de noirceur et de lieux étriqués, ici, les personnages évoluent dans de grands espaces. C’est la morale alentour qui est étriquée. Anna vit de calvaire en calvaire, jusqu’à sa rencontre avec les Bartlett. Mais même chez ces gens-là, le passé la rattrape. Il n’y a qu’une seule échappatoire : la mort.

Cette mort qu’Anna souhaite, Lillian Gish l’a presque trouvée : la séquence finale sur les blocs de glace de la rivière en pleine débâcle ne fut pas seulement une scène d’anthologie. Lillian Gish, allongée sur la glace, la tête et la main dans l’eau, a réellement failli y passer. [Allez lire son récit dans son autobiographie, c’est magnifique !].

Toute cette scène est extraordinaire. Le montage parallèle de la dérive d’Anna pendant que David essaie de la sauver donne une tension et un suspense énormes, avec la menace – régulièrement insérée dans cette course poursuite – des chutes d’eau au bout de la route.

Et si sauvetage il y a, il est physique : Anna ne meurt pas, mais en plus son honneur est sauf !

Un très grand moment de cinéma.

 

Et puis il y a le jeu de Lillian Gish. Alors qu’elle a très souvent joué les femmes-enfants chez Griffith, elle trouve ici un rôle qui évolue. Elle est cette même jeune fille naïve qu’on attendait d’elle au début. Mais son expérience malheureuse la fait grandir. Et quand Lennox la retrouve chez les Bartlett, ce n’est plus la jeunette que l’on peut abuser aisément qui se retrouve en face de lui. C’est une femme (n’oublions pas que Lillian Gish avait tout de même 27 ans !) qui lui tient tête. Une femme consciente de ses responsabilités mais aussi de celles de ce petit monsieur.

 

Et finalement, s’il n’y a pas de mort à la fin, une chose est sûre : Lennox est mort socialement dans le village Bartlett, et lui qui voulait qu’Anna s’en aille afin d’avoir l’esprit plus serein devra s’exiler et retourner à sa vie citadine.

Une vie citadine, bien entendu – intrinsèquement - corrompue.

 

[PS : Une petite pensée pour Robert Harron, qui aurait pu jouer le rôle de David mais qui est mort deux jours après la sortie du film (après quatre jours d’agonie). On ne peut s’empêcher de lui trouver des similitudes avec le personnage du professeur joué par Creighton Hale.]

 

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