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Le Monde de Djayesse

Le Monde de Djayesse

Un peu de tout : du cinéma (beaucoup), de l'actu (un peu) et toute cette sorte de choses [A bit of everythying: cinema (a lot), news (a little) and all this kind of things]

Publié le par Djayesse
Publié dans : #Cinéma, #Guerre, #Bertrand Tavernier
La Vie et rien d'autre (Bertrand Tavernier, 1989)

Novembre 1920

La guerre est finie : on va même bientôt fêter les deux ans de l’Armistice. Mais la guerre n’est pas finie pour tout le monde : pendant que le Commandant Delaplanne (Philippe Noiret, superbe) essaie de mettre un nom aux disparus retrouvés, aux amnésiques, ou encore aux morts récemment exhumés, les familles vont de « gisements » en gisements (1) espérant encore retrouver leurs disparus, ou gagner encore un bout d’espoir s’ils ne sont pas là.

Parmi ces chercheurs, deux femmes : Irène de Courtil (Sabine Azéma) et Alice (Pascale Vignal), à la recherche de deux hommes qui auraient pu se croiser, mais qui ne sont plus là. A moins que.

 

Irène, c’est la femme de la haute société, dont le mari s’est engagé, - tardivement peut-être, mais c’est bien connu, il n’est jamais trop tard – délaissant sa situation florissante de fils de grande famille.

Alice, c’est la jeune fille presque innocente. Elle n’est pas de la même classe, même si elle a tout de même son brevet : elle n’est qu’un prénom, sans origine, donc. Elle, c’est son fiancé qu’elle recherche. Un homme comme elle, avec des goûts simples, et une vie qui devait l’être tout autant.

Ces deux hommes, qu’elles cherchent au même endroit, sont aussi un symbole : celui de la l’Egalité, de la devise républicaine, cette « grande illusion »…

Mais s’il est une chose véritablement égalitaire, c’est la mort, étape ultime et inévitable de la guerre.

 

Et pourtant. Irène et Alice sont liées. Il n’y aura pas de résolution pour l’une sans l’autre. Leurs chemins se croisent et se décroisent jusqu’à la révélation finale. Parce qu’il y en a une. Une révélation terrible : forcément, elle est attendue sans l’être vraiment. Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie…

Mais si espoir il y a, pour l’une comme pour l’autre, ce n’est pas pour la même raison. Car si l’une veut retrouver son fiancé, l’autre n’est pas bien sure de revoir son mari.

Malgré tout, ces deux femmes n’existent que par l’autre, voire d’une certaine façon pour l’autre : chacune envie une partie de l’autre, tacitement.

 

Au milieu de ces deux parcours, on trouve Delaplanne, ce militaire que la guerre dégoûte, que le mensonge de celle-ci écœure. Inadapté, forte tête et surtout las de tout ceci, il voit en Irène une opportunité. Cette belle femme à la recherche de son mari l’attire. Mais il ne peut pas. Ou il ne veut pas. Ou alors pas comme ça. Le soudard en lui s’est éteint. Et quand son choix est fait, c’est trop tard : elle est repartie.

 

Et pendant ce temps, la grande Histoire (« le grand mensonge » pourrait dire Delaplanne) continue : il faut désigner un soldat inconnu. Absolument inconnu mais avant tout français ! Mais surtout pas un Français des colonies : ces derniers ne sont bons qu’à déterrer les morts – les « Annamites » – ou vérifier les sols minés – les Noirs (2).

Cette désignation nous permet un intermède comique au milieu de ce lendemain de cataclysme. Chargé de trouver un mort bien français, le capitaine Perrin (François Perrot, bientôt 95 ans…) sillonne la région accompagné d’une équipe d’Indochinois, aux coutumes qui lui sont totalement étrangères, les faisant travailler en leur promettant éventuellement du riz.

 

Ce prélude comique à une désignation hautement solennelle est un paradoxe très réjouissant. Et quand le soldat Thain (Eric Dufay) choisit, la solennité disparaît immédiatement : nulle grandeur d’âme ni autre poids de responsabilité dans son choix : une raison toute bête que je vous laisse découvrir. Une raison qui aurait pu tout à fait convenir à Delaplanne, spectateur obligé de cette cérémonie. Obligé et bien embêté (3) : son supérieur, le général Villerieux (Michel Duchaussoy) s’en rend bien compte. C’est l’aboutissement de leurs rapports intermittents : d’un côté une vieille ganache (ou baderne, au choix), qu’on attend à tout moment pousser un « scrogneugneu » rageur (comme c’est toujours le cas chez ce genre de personne) ; et de l’autre un militaire qui ne l’est déjà plus, malgré son uniforme et ses quelques décorations, las des combats, des morts et surtout de l’hypocrisie de ses supérieurs.

 

Et c’est le décalage entre l’Histoire des manuels (ou telle) et le quotidien des hommes – et surtout des femmes – qui fait tout le sel de ce film. Ces deux femmes (et toutes les autres à travers elle), tout compte fait, ne sont certainement pas moins courageuses que les hommes qu’elles recherchent, mais c’est pourtant l’héroïsme meurtrier que retiendra la sempiternelle Histoire, avec sa majuscule, diminuant un massacre qui lui aussi devrait avoir cette même majuscule et qui est pourtant réduit à une seule chose : une série statistiques, au grand dam de ce même Delaplanne.

 

 

  1. Ce sont malheureusement des gisements de cadavres qu’on retire de terre.
  2. Je vous passe le qualificatif usité dans le film, un de ces surnoms qui sent bon le colonialisme triomphant, méprisant, mais avant tout condescendant…
  3. Un terme plus fort me vient à l’esprit.
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